Il y a deux Belges à la Biennale de Montréal 2016. Le commissaire de cet événement d'art contemporain, Philippe Pirotte. Et le peintre Luc Tuymans, une vedette internationale de la figuration qui surfe un peu sur l'abstraction et autopsie le présent. Il présente quatre nouvelles oeuvres au Musée d'art contemporain de Montréal (MAC) jusqu'au 15 janvier.

Il s'agit d'une première présence à Montréal pour Luc Tuymans, peintre de 58 ans qui fut, plus jeune, inspiré par El Greco, Velasquez, Goya et surtout Jan van Eyck. «Van Eyck, il n'y a pas plus fort que ça, dit-il en entrevue. Il s'est détaché de l'image mimétique du christianisme et s'est ouvert au monde.»

L'ouverture au monde, c'est un peu le mantra de Tuymans. Doté d'une écriture picturale qui lui est propre, le peintre d'Anvers remet en scène des lieux et des natures mortes et réinterprète des images, notamment des clichés de célébrités. Il appelle ça une «falsification authentique». Avec un regard assez froid et poétique. Froid comme chirurgical donc pas désintéressé de la vie de tous les jours et totalement lucide. 

«L'art n'a rien à foutre avec la vie, même pas avec moi. Je ne suis pas mon art et mon art n'est pas moi.»

«Étouffé» par sa peinture dans les années 80, il avait alors pris une pose pour explorer le cinéma. Une expérience qui a relancé sa carrière dans les années 90. «Ça m'a instruit et m'a fait prendre conscience qu'on ne peut pas être contre les nouveaux médias, dit-il. En même temps, la peinture est essentielle et c'est aussi un plaisir.»

L'affaire d'Anvers

Un plaisir avec des aléas. L'artiste belge l'a appris à ses dépens en 2015 quand il a été condamné pour avoir violé les droits d'auteur de la photographe Katrien Van Giel en créant une peinture (A Belgian politician) s'inspirant fortement d'une de ses photos. Plagiat, le mot était lancé. L'affaire avait ému le milieu de l'art. Le juge n'avait pas cru à l'argument de la parodie. L'histoire s'est réglée à l'amiable. Luc Tuymans demeure persuadé que la poursuite était «politique», liée «aux nationalistes flamands».

Ami depuis 25 ans de Philippe Pirotte, Luc Tuymans expose au MAC quatre nouvelles toiles: Dog et Doha I, Doha II et Doha III. Des oeuvres aux couleurs délavées, au flou plus ou moins prononcé, à l'atmosphère éthérée. La série Doha résulte de son exposition Intolérance, une rétrospective qui lui a été consacrée, l'an dernier, à la galerie Al Riwaq de Doha, au Qatar.

Tuymans avait fait peindre en bleu des salles d'exposition pour évoquer un musée islamique voisin de la galerie. À la fin de l'exposition, il avait photographié l'espace vide avec son iPhone avant de réaliser les trois peintures en Belgique. Les toiles de grand format représentent les angles de vue d'un même espace.

Non-lieu architectural

La série colle parfaitement au thème de la Biennale, Le grand balcon, et ses déclinaisons théâtralisées. Doha révèle un non-lieu architectural, privé de sens artistique. Une galerie vide des oeuvres de Tuymans, mais aussi vide comme le symbole d'un monde où la culture s'allège en perdant des plumes.

«J'ai choisi ces tons de bleu en référence à l'islam, dit-il. Je trouvais ça à la fois beau et effrayant, ce vide et ce bleu dont j'ai altéré la couleur. Intolérance parlait d'un certain dialogue.»

Un dialogue entre le Qatar, petit pays de sable et de pétrole, et l'Occident. «C'était une expo sur l'imagibilité occidentale», ajoute-t-il, évoquant notre capacité à nous forger des images compte tenu de la variété de nos paysages, ce qui n'est pas le cas dans l'émirat du golfe Persique.

Violente domesticité

L'autre peinture, Dog, est celle d'un chien enragé. Elle découle de la photo d'un bas-relief. Il s'agit, selon l'artiste, d'un clin d'oeil à Malaparte «qui aimait plus les chiens que les gens». Dog est une oeuvre à regarder de loin. De près, l'image du chien tend à disparaître. Le nez trop collé aux choses, on ne voit plus le contexte. Tuymans veut nous dire, avec son chien enragé, que l'actualité c'est ça: de la domesticité violente et déprimante.

Quand nous avons rencontré Luc Tuymans le mois dernier, il citait comme actualité déprimante le Brexit et la possible élection de Donald Trump... «Les gens sont devenus, sur le plan politique, apolitiques, dit-il. Le populisme est partout. Poutine est bien en place. L'idée du vide est devenue institutionnelle. Alors, la série Doha aussi, c'est vide. C'est comme une idée de prémonition. C'est grand, mais il n'y a rien à voir.» 

Brillant et réaliste, Luc Tuymans a toutefois des rêves, notamment «le rêve européen» d'un continent où la culture serait prépondérante. «Mais c'est un rêve, dit-il. Actuellement, c'est difficile à cause d'un monde politique sans culture. Le rêve aujourd'hui, c'est de résister. Mais bon, il faut assumer son pessimisme dans la vie! De toute façon, c'est difficile de faire de la peinture sur le bonheur.»

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Luc Tuymans à la Biennale de Montréal, au Musée d'art contemporain de Montréal (185, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal), jusqu'au 15 janvier.

Photo Alain Roberge, La Presse

Doha I, 2016, Luc Tuymans, huile sur toile, 147,4 cm x 231,8 cm.