Elle a beau avoir 85 ans, Rita Letendre peint tous les jours dans son atelier de Toronto, et ses créations sont toujours aussi fascinantes. Il ne faut pas manquer l'occasion d'aller faire un tour à la galerie Simon Blais pour découvrir une sélection d'huiles sur toile qu'elle a peintes au cours des 10 dernières années.

Elle les appelle ses toiles «anciennes». Pourtant, elles ont moins de 10 ans et certaines datent de l'an dernier! «C'est très différent de ce que je fais en ce moment, dit Rita Letendre, en entrevue à la galerie Simon Blais. Écoutez, j'ai vieilli!»

De passage à Montréal, Rita Letendre était quelque peu intriguée de voir ainsi toutes ses peintures rassemblées.

«Pendant une période, on a une obsession pour certaines couleurs ou certaines formes, a-t-elle expliqué. Après, ça passe. Un tableau vous amène à une autre idée et vous oubliez l'idée précédente. Alors, je vous assure que c'est une drôle d'expérience de les voir ainsi toutes au même endroit.»

Si, à la fin des années 90, on sentait dans les peintures de l'artiste que son âme avait pu vaciller - le départ de son cher Kosso Eloul n'y était pas étranger -, les années 2000 ont marqué son retour à la flamboyance. Les oeuvres qu'on trouve chez Simon Blais débordent de l'amour que la peintre porte à la vie et révèlent ses interrogations sur notre finitude, sur le mystère de l'homme au sein de l'univers.

Ses tableaux sont toujours aussi spatiaux. De grandes envolées en diagonale, telles des comètes tranchant l'espace. Que ce soit avec son bleu émergeant de l'ombre dans Travelling on Unending Blue Space, ses gerbes de couleur irrégulièrement stratifiées dans Star Song, ses larmes jaunes s'extirpant du trou noir dans Tears on the Sun, ses gris galactiques troués par des jets lumineux ou ses noirs profonds incrustés de rouge rubis, il y a du vrai bonheur dans les toiles de Rita Letendre, un bonheur qui s'interroge tout en se laissant guider par le hasard.

«Moi, j'évolue constamment, dit-elle. Une chose m'amène à une autre. Et ainsi de suite. On ne peut pas faire tout le temps la même chose. Ce serait plate en maudit! J'aime faire des oeuvres dans lesquelles je vais vers l'espace à toute vitesse, comme avec mes flèches noires que j'entourais de couleurs placées au fusil à air.»

Cela fait 65 ans qu'elle peint. Ni rien ni personne ne l'a jamais fait dévier de sa trajectoire. Même Borduas - son inspiration des premiers temps de l'automatisme - n'y était pas parvenu quand il avait critiqué son travail en 1955.

Le seul qui lui a déjà forcé la main, ce fut cet inconnu qui l'a repérée, à l'âge de 20 ans, dans le restaurant où elle travaillait comme caissière la nuit. Durant les temps morts, elle y dessinait. Il lui avait dit qu'elle devrait faire l'École des beaux-arts. Sans coup férir, il l'y avait amenée pour l'inscrire au cours. Il avait su déceler du génie dans cette petite boule de cheveux noirs au caractère déjà bien défini.

Dans une salle annexe de la galerie, on trouve des oeuvres sur papier que Rita Letendre a créées dans les années 60, quelques années après ses premiers succès. Notamment des caséines graphiques aux brossages fougueux, comme sa Série B no 2 (FH-22P) qu'on soupçonne inspirée de l'expressionnisme de Kline. Tout près, dans le couloir, sa toile Un rêve, inconsciemment figurative si l'on veut bien y voir un ursidé émergeant dans l'encadrement d'une fenêtre. Mais ce ne sont peut-être que les effets de notre rencontre magnétique avec cette artiste d'exception et la force de ses reliefs cosmiques...

À la galerie Simon Blais (5420, boulevard Saint-Laurent) jusqu'au 8 mars.