Un chat blanc, un chien astronaute, quelques volatiles dont une flopée de poules cruelles et un grand-duc sage et bavard. Les Jeux olympiques de 1976, Nadia Comaneci, René Lévesque, les évangiles, la Caramilk de Cadbury, les villages de la Gaspésie. Un père agent de police surnommé Henri VIII. Une mère répudiée, cuisinière de son métier, aimant Elvis Presley et ses enfants. Une soeur aimée, un demi-frère jalousé, une belle-mère imposée, puis une autre, toutes rebaptisées du nom des femmes du vrai Henri VIII: Catherine D'Aragon, Anne Boleyn, Jeanne Seymour...

Dans son étrange et saisissant Bestiaire, Éric Dupont en mène large. Peu d'écrivains seraient capables de jongler avec autant de balles sans en laisser tomber une seule. Mais il y parvient. Il jongle avec une aisance, un naturel désarmants.

Troisième titre de cet auteur qui ne cesse de nous surprendre (il remportait, avec La logeuse, le Combat des livres 2008), Bestiaire est une autofiction en pièces détachées, le récit à bâtons rompus d'une enfance à l'eau, lestée, noyée. Entre les déménagements imposés par un père instable, le supplice des cours d'école, l'incompréhension des adultes, parents et professeurs, le narrateur de Bestiaire, qui se nomme Éric Dupont, tiens, tiens, survit grâce à son rêve d'un jour pouvoir partir au loin, et grâce à la lecture et l'écriture.

Le jour où il apprend à lire, s'ouvre le ciel.

Éric Dupont est une sorte de mouton noir. Inconnu il y a quatre ans, il fait aujourd'hui partie de nos écrivains les plus originaux, les plus audacieux. Sa voix ressort du choeur des jeunes auteurs, plus aérienne, plus légère, aussi reconnaissable que l'est le chant de la grive aux oreilles des ornithologues. Son imaginaire semble intarissable. Son récit, porté par un souffle qui décoiffe comme le vent gaspésien, coule de source et nous emporte très loin, mais ne perd jamais le nord.

Entre les images puissantes, les scènes traumatisantes ou cocasses, Éric Dupont raille ou critique en douce une société souvent étroite d'esprit, sans verni, qui joue à ni oui ni non mais passe toujours à côté de la question, et qui a fait de son système d'éducation une machine pleine de failles.

Mais ce n'est pas ce qui nous reste en mémoire, une fois la dernière page tournée. C'est bien davantage l'impression d'avoir visité un lieu unique. D'avoir contemplé le monde à travers le regard d'une espèce de surdoué qui, n'arrivant pas à le supporter tel qu'il est, a décidé de le réinventer en y ajoutant ses couleurs, ses motifs, sa vision.

Qui l'aime, le suive.

Bestiaire

Éric Dupont, Editions Marchand de feuilles, 304 pages, 24,95$ ****