Si, pour ceux qui ont connu les affres du régime soviétique, Alexandre Soljenitsyne a joué un rôle-clé dans la dénonciation du système concentrationnaire, les jeunes Russes ont accueilli dans une indifférence quasi-générale l'annonce de sa mort.

«Ce qu'il écrivait était terrible, mais très réaliste», «je suis attristée» par la nouvelle, réagit Nina, une sexagénaire interrogée lundi matin par l'AFP dans une rue du centre-ville de Moscou, tandis que la télévision diffusait en boucle des images d'archives montrant l'écrivain.

«J'ai lu à l'époque Une journée d'Ivan Denissovitch (sorti en 1962), le livre avait été édité en URSS», se souvient cette enseignante à la retraite, reconnaissant avoir été «au courant» des dérives liberticides qu'il dénonçait sans relâche dans son oeuvre.

Boris Orlov, 74 ans, un ancien ingénieur dans l'aéronautique, est plus mitigé : «Ce n'était plus le Soljenitsyne d'il y a dix ans, quand il était un symbole national», une des rares voix à critiquer ouvertement le pouvoir soviétique, commente-t-il, regrettant qu'il se soit «consacré à la politique» ces derniers temps, tandis que naguère «il concentrait ses écrits sur la vie».

Mais les plus âgés sont pratiquement les seuls, en dehors des personnalités connues, telles que le premier ministre Vladimir Poutine et l'ex-président Mikhaïl Gorbatchev, à accorder une réelle importance au décès d'Alexandre Soljenitsyne, au cours de la nuit de dimanche à lundi dans sa maison de Troïtse-Lykovo à Moscou.

«Pour moi, ça fait longtemps qu'il est mort!», n'hésite pas à lâcher un passant manifestement pressé, la trentaine. «Je n'ai rien lu de lui, je n'en ai pas le temps, je le ferai lorsque j'aurai arrêté de travailler», conclut-il, s'engouffrant dans le hall d'un immeuble.

Et plus ils sont jeunes, plus les Russes expriment avec rudesse leur désintérêt pour cette figure de proue de la littérature.

Ainsi, trois employées âgées d'une vingtaine d'années en train de fumer sur le trottoir, préfèrent-elles d'abord détourner le regard, sans dire un mot. Elles finiront par avouer qu'elles n'avaient lu aucun de ses livres, et que, grosso modo, elles ne se sentaient pas le moins du monde concernées par l'événement.

«Les gens naissent, les gens meurent. Je ne peux pas dire que je me frappe la poitrine de douleur, même si j'ai été navré d'apprendre qu'il s'était éteint», dit, un peu plus loquace, Andreï Driomov, 24 ans.

«Je ne sais pas qui c'est», confie sans détour Macha, mini-jupe et boisson achetée dans un fast-food à la main.

«J'ai lu ses oeuvres, mais je ne peux pas dire que j'y sois personnellement attachée. Bien sûr, c'est toujours une grande perte quand quelqu'un de cette stature meurt», concède toutefois Anita Finkel, une serveuse de 19 ans.

«Notre génération n'est pas aussi cultivée que les anciens», ajoute-t-elle, comme pour tenter d'excuser l'ataraxie des gens de son âge.

«C'était un vrai Russe, et, en tant que Russe, je suis triste», résume cependant Natalia Kolessova, une cadre de 47 ans.

Et puis tout de même, «à l'époque où il était interdit de parler librement, il a écrit L'archipel du Goulag», renchérit Larissa Sochina.

Soljenitsyne enterré mercredi à Moscou

L'écrivain russe Alexandre Soljenitsyne sera inhumé mercredi au cimetière du monastère Donskoï à Moscou, a annoncé lundi un responsable du Patriarcat de Moscou cité par l'agence Interfax.

«Alexandre Soljenitsyne avait lui-même choisi ce lieu de son vivant», a précisé ce responsable, Nikolaï Balachov.

À la demande de l'écrivain «il y a cinq ans, le patriarche Alexis II (patriarche de Moscou et de toutes les Russies) avait réservé une place au cimetière du monastère Donskoï», a-t-il ajouté.

Alexandre Soljenitsyne : principaux écrits

Alexandre Soljenitsyne, prix Nobel de littérature, décédé dans la nuit de dimanche à lundi à l'âge de 89 ans, laisse une oeuvre imposante. Voici la liste de ses principaux écrits.

> Récits, nouvelles

Une journée d'Ivan Denissovitch (1962, revue Novy Mir)

L'inconnu de Krechetovka, la maison de Matriona (1963, Novy Mir)

Zakkar Kalita (1966, Novy Mir)

> Romans, essais

Le pavillon des cancéreux (1968)

Le premier cercle (1968)

Les droits de l'écrivain (essai, 1968)

Août quatorze (1971, 1er «noeud» de «La roue rouge»)

L'archipel du Goulag (I) (1973)

L'archipel du Goulag (II) (1974)

Ne pas vivre dans le mensonge (essai, 1974)

Des voix sous les décombres (essais avec d'autre dissidents, 1974)

Le chêne et le veau (1975)

Lénine à Zurich (1975)

Archipel du Goulag (III) (1976)

Discours américains (1976)

Nuits prussiennes (1977)

Message d'exil (essai, 1979)

L'erreur de l'Occident (essai, 1980)

Les tanks connaissent la vérité (scénario de film, 1982)

Nos pluralistes (1983)

Novembre seize (1985, 2e «noeud» de «La rouge rouge»)

Comment réaménager notre Russie (1990)

Les invisibles (1992)

Mars dix-sept (Tome I, 1993, 3e «noeud» de «La roue rouge»)

Le «problème russe» à la fin du XXe siècle (1994)

Ego suivi de Sur le fil (1995)

Le grain tombé entre deux meubles (1997)

Nos jeunes (1997)

Deux siècles ensemble (2001 et 2002)

Aime la révolution (2007)

Une minute par jour (2007)

En novembre 1988, pour la première fois depuis 1966, un texte de Soljenitsyne, «Ne pas vivre dans le mensonge», paraît en URSS, dans un quotidien de Kiev.

En juillet 1989, l'Union des écrivains autorise la publication de Archipel du Goulag, qui commence en août dans Novy Mir.