Le geste mérite d'être souligné. Cette semaine, Téléfilm Canada a fait amende honorable en reconnaissant enfin qu'une importance excessive avait été accordée aux résultats commerciaux des longs métrages dans le financement du cinéma canadien.

La fameuse politique des enveloppes à la performance, instaurée en 2001 par l'organisme fédéral, a engendré un nouveau mode de financement favorisant le succès commercial au détriment de bien d'autres facteurs, dont la pertinence artistique.

Au diapason d'une certaine «hollywoodisation» de l'industrie cinématographique québécoise (que le cinéma du reste du Canada ne connaît pas), les bailleurs de fonds de Téléfilm ont décidé de récompenser directement les producteurs de films ayant fait le plus de recettes aux guichets, en leur versant une prime à la performance. Une façon de leur donner carte blanche, en quelque sorte, pour leur prochain projet. Réclamez 200$ sans même avoir à passer par Go...

Plusieurs (j'en suis) ont vu d'un très mauvais oeil cet encouragement à produire des films dont le principal objectif est de plaire au «plus grand nombre». En mesurant le risque afférent de privilégier un cinéma conventionnel et consensuel, aux formules prévisibles, plutôt que l'originalité et l'audace dans la création. Les exemples de fours financés à même des enveloppes à la performance n'ont rassuré personne au cours des années suivantes.

Alors que la moitié des fonds fédéraux consacrés au financement de notre cinéma a servi à récompenser des producteurs «performants» dont les films coûtaient de plus en plus cher, un nombre croissant de créateurs talentueux a été laissé sur la touche. L'enveloppe dite «sélective» (au mérite artistique) qui leur était destinée n'arrivait plus à combler leurs besoins.

Les films de ces cinéastes avaient beau connaître du succès dans les remises de prix et les festivals internationaux, leur rayonnement à l'étranger faire la fierté de notre cinéma, cela ne se traduisait pas par un accès plus facile à du financement pour leurs projets subséquents. Des auteurs de navets comme Men With Brooms ont pu faire d'autres navets tandis que l'on a empêché un artiste de la trempe de Robert Lepage de poursuivre son oeuvre cinématographique. L'absurdité même.

En annonçant, en 2001, sa politique des enveloppes à la performance, le président de Téléfilm de l'époque, Richard Stursberg, avait déclaré à La Presse qu'à choisir «entre un film qui va gagner des prix dans les festivals à travers le monde et un film qui va réaliser un bon box-office ici, au Canada [...], moi je prends le film populaire». Il avait eu le mérite d'annoncer franchement ses couleurs.

Dix ans plus tard, la «politique de la performance» de Téléfilm Canada semble enfin avoir fait son temps. Cette semaine, la directrice générale de Téléfilm, Carolle Brabant, a présenté les nouvelles lignes directrices de son organisme en matière de financement du long métrage. Contrairement à Richard Stursberg, elle ne compte plus privilégier le box-office au détriment du rayonnement international. Elle embrasse l'un et l'autre.

Le nouvel «indice de réussite» de Téléfilm Canada, dévoilé mercredi, tiendra désormais compte des sélections de films canadiens dans des événements prestigieux tels que les Oscars, les Césars et autres Golden Globes, ainsi que dans des festivals internationaux de renom. Le rayonnement international n'était pas du tout considéré jusqu'à présent dans l'évaluation de la «performance» globale des longs métrages canadiens.

On se demande bien pourquoi, en sachant que, de toute manière, la grande majorité des films canadiens - même les plus populaires - ne font pas leurs frais, que les institutions ne se font pratiquement jamais rembourser leur mise, et que les films qui engrangent le plus de recettes aux guichets sont rarement ceux qui ont le plus de rayonnement à l'étranger ou qui s'inscrivent pour la durée dans notre cinématographie nationale.

On ne mesure pas un art à sa performance financière. C'est l'évidence même. C'est aussi le constat de Carolle Brabant, qui confirme que le box-office reste «très important» pour Téléfilm Canada, mais donne l'exemple des films de Denis Villeneuve et de Philippe Falardeau pour illustrer en même temps l'importance pour notre cinéma de son rayonnement international.

On n'avait certes pas besoin de Téléfilm Canada pour nous faire la preuve que les «indices de réussite» qualitatifs sont au moins aussi importants, sinon plus à mon sens, que les indices quantitatifs. Et on peut croire que le succès récent d'Incendies de Denis Villeneuve sur la scène internationale n'est pas étranger à l'attrait soudain de l'organisme fédéral pour autre chose que les recettes domestiques aux guichets.

Le prestige a des retombées qui se mesurent mal. La direction actuelle de Téléfilm Canada reconnaît au moins que ces retombées sont inestimables. On ne s'étonne pas pour autant d'entendre Carolle Brabant comparer notre cinéma à d'autres industries qui s'exportent et font des «ventes», ou le président de Téléfilm Canada, Michel Roy, déclarer que «les recettes-guichet des films, quoique toujours très importantes, ne brossent qu'un tableau partiel de la situation, compte tenu de l'attrait grandissant de la marque de l'industrie sur la scène internationale».

Le vocabulaire traduit une logique d'affaires. Il reste que de voir Téléfilm Canada finalement prendre le virage de la qualité, revendiqué depuis des années par nombre de créateurs, est encourageant pour la suite. Il s'agit d'un changement de philosophie qui ne peut qu'avoir des effets bénéfiques sur notre cinéma.

Pour joindre notre chroniqueur: mcassivi@lapresse.ca