La fillette de 7 ans est handicapée. Sa grand-mère lui avait ouvert un REEE, mais ses perspectives d’études s’amenuisent. Ses parents, qui vivent modestement, peuvent-ils transformer ce REEE en REEI ?

La situation

« Nous sommes parents d’une enfant de 7 ans en situation de handicap », confie Camille*.

Camille et Jonathan* sont conjoints de fait et habitent ensemble depuis près de 15 ans.

Un régime enregistré d’épargne-études (REEE) au nom de leur fille a été ouvert à sa naissance par sa grand-mère. « Mais on entrevoit le fait qu’elle ne pourra peut-être pas faire d’études supérieures. On veut voir ce qui serait le plus avantageux pour elle. »

« Nous aimerions que ce REEE soit potentiellement transformé en REEI [régime enregistré d’épargne-invalidité] et mis à notre nom, puisque la grand-mère a du mal à suivre le fil de ce placement », précise Camille.

La valeur du REEE avoisine 5000 $, croit-elle.

Mais les deux parents nagent ici dans l’incertitude.

« Nous avons du mal à trouver des informations claires concernant le REEI. Peut-on vraiment changer le REEE en REEI ? Est-ce qu’on doit d’abord faire mettre le REEE à notre nom puis le changer ? »

Eux-mêmes pourront-ils contribuer à cet éventuel REEI ? Devraient-ils plutôt privilégier leurs comptes d’épargne libres d’impôt (CELI) ?

Âgée de 37 ans, Camille travaille dans le secteur culturel. Elle a un emploi qui lui procure un salaire de 40 000 $ par année, auquel elle ajoute des revenus comme artiste et travailleuse autonome qui varient de 3000 $ à 13 000 $, selon les années.

À 41 ans, Jonathan travaille lui aussi à son compte dans le milieu artistique et occupe un emploi permanent deux jours par semaine pour s’assurer un revenu stable. Il touche environ 19 000 $ en salaire et 20 000 $ en revenus autonomes.

« On a un niveau de vie qui nous convient, surtout avec une flexibilité qui nous permet d’avoir des rendez-vous médicaux pour notre fille », constate Camille.

Les quelque 600 $ de prestations gouvernementales qu’ils touchent chaque mois sont entièrement consacrés aux services pour leur fille.

« Côté retraite, on a chacun un fonds de pension auquel nos employeurs contribuent généreusement pour le moment. » En proportion de leurs modestes salaires, à tout le moins.

Ils habitent à Montréal dans un logement qui leur coûte 1500 $ par mois, où ils comptent habiter « aussi longtemps que possible ».

En 2021, leur fillette a été reconnue handicapée depuis sa naissance. Ce constat leur a valu une aide financière rétroactive d’environ 30 000 $ – un pactole soudain et inattendu.

« On s’est vraiment posé la question de comment utiliser cet argent pour elle et on a regardé pour un petit chalet pour qu’elle puisse avoir des moments de quiétude. La nature lui fait du bien », relate la maman.

Camille et Jonathan ne construisent pas de châteaux en Espagne.

« Nous espérons simplement ne pas nous appauvrir malgré le coût de la vie qui augmente constamment et notre petite marge de manœuvre, et on aimerait pouvoir planifier des projets pour nous et pour l’avenir de notre enfant. »

Ni l’un ni l’autre ne peuvent épargner régulièrement en raison de leurs revenus trop imprévisibles et des coûteux services pour leur fille.

« Alors que les loyers et le coût de la vie augmentent, comment peut-on faire pour que nos petites épargnes soient maximisées ? », demande Camille.

Dans la mesure du possible, elle cotise à son CELI, où elle a accumulé environ 14 600 $.

Jonathan « n’a pas d’épargne, mais il contribue à notre compte conjoint, où on garde toujours environ 2000 $ », ajoute-t-elle.

« Nous nous demandons quelles seraient les options de placement optimales. Nous aimerions voyager un peu et nous voulons garder un coussin au cas où nous aurions des réparations à faire sur notre petit chalet ou si nous avons des revenus autonomes moindres. »

LES CHIFFRES

Camille, 37 ans

Revenu d’emploi : 40 000 $

Revenus autonomes : de 3000 $ à 13 000 $/an

Régime de retraite avec son employeur

Compte courant : 11 000 $

REER : aucun

CELI : 14 600 $

Jonathan, 41 ans

Revenu d’emploi : 19 000 $

Régime de retraite avec son employeur

REER : aucun

CELI : aucun

Compte conjoint : environ 2000 $ en réserve

Chalet

Valeur : environ 150 000 $

Mensualité hypothécaire : 442 $

Solde hypothécaire : 94 000 $

Aucune autre dette

La réponse

Peut-on faire un transfert d’un REEE à un REEI ?

La réponse simple est oui. Mais il y a des formes.

Rappelons d’abord le principe. Le régime enregistré d’épargne-invalidité a pour objectif d’assurer des revenus à (très) long terme à une personne qui se qualifie au crédit d’impôt fédéral pour personnes handicapées.

Si le bénéficiaire est mineur, le REEI peut être ouvert en son nom par un parent légal.

Outre que le rendement s’y accumule à l’abri de l’impôt, son grand avantage réside dans la Subvention canadienne pour l’épargne-invalidité que le gouvernement fédéral y versera.

« On pourrait cotiser un montant de 1500 $ dans une année, par exemple, et avoir droit à des subventions de 3500 $ », souligne Stéphane Thibault, comptable professionnel agréé et conseiller principal en fiscalité chez Desjardins Gestion de patrimoine.

La subvention maximale dépend du revenu familial, qui ne doit pas excéder un plafond ajusté chaque année. Pour l’année de cotisation, le revenu considéré est généralement celui de la deuxième année précédente.

« Pour avoir droit à ces subventions bonifiées en 2023, il faut en règle générale que le revenu familial de 2021 soit inférieur à 106 717 $ », indique le conseiller.

Pour la première tranche de 500 $ de cotisations, la Subvention canadienne pour l’épargne-invalidité versera alors 3 $ par dollar cotisé, soit un maximum de 1500 $. Pour les 1000 $ de cotisations supplémentaires, le gouvernement ajoutera 2 $ par dollar cotisé.

Si le revenu familial excède ce plafond, la subvention se limite à 1000 $ pour la première tranche de1000 $ cotisée.

Les cotisations de toutes sources ne peuvent excéder 200 000 $ à vie et les subventions sont plafonnées à 70 000 $.

Dans le cas de Camille et Jonathan, « étant donné que le handicap de leur fille a été reconnu rétroactivement à sa naissance, il y a une accumulation des droits inutilisés des années précédentes, informe Stéphane Thibault. Il y a une possibilité de faire un rattrapage ».

La fillette a 7 ans. Des cotisations de 10 500 $ dès cette année ouvriraient la porte à des subventions qui pourraient totaliser 24 500 $ (7 x 3500 $).

Pour chaque année rattrapée, la subvention est calculée en fonction du revenu familial correspondant. Les cotisations versées dans l’année courante seront appliquées aux droits inutilisés, année par année, par ordre décroissant de taux de subvention.

Les droits inutilisés sont cependant perdus après 10 ans. Ceux de l’année de naissance de la fillette s’évaporeront donc en 2026, et ainsi de suite pour chaque année subséquente.

Transférer le REEE en REEI ?

Parmi les situations qui autorisent le transfert des gains d’un REEE vers un REEI figure celle-ci : « Le bénéficiaire a une incapacité mentale grave et prolongée qui, selon des attentes raisonnables, l’empêcherait de faire des études postsecondaires », stipule le site du gouvernement du Canada.

« Ils sont dans une situation où le transfert du REEE vers le REEI semble possible », confirme Stéphane Thibault.

Avec certaines contraintes, toutefois. Les fonds détenus dans un REEE se divisent en trois catégories : les cotisations versées par les cotisants, les subventions ajoutées par les deux ordres de gouvernement, et enfin le rendement réalisé sur ces sommes.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Stéphane Thibault, comptable professionnel agréé et conseiller principal en fiscalité chez Desjardins Gestion de patrimoine

Lorsqu’on fait un transfert d’un REEE au REEI, c’est uniquement le rendement accumulé dans le REEE qui est transféré. Les subventions retournent aux gouvernements et les cotisations retournent à la personne qui les a faites.

Stéphane Thibault, comptable professionnel agréé et conseiller principal en fiscalité chez Desjardins Gestion de patrimoine

L’argent versé par la grand-mère dans le REEE de sa petite-fille lui serait donc remboursé.

Si elle le souhaite, elle pourra ensuite le verser dans le REEI de la petite, avec le consentement écrit du titulaire du compte, en l’occurrence Camille ou Jonathan. Cette cotisation donnerait droit à la Subvention canadienne pour l’épargne-invalidité. Toutefois, le gouvernement ne versera pas de subvention pour le rendement transféré depuis le régime d’épargne-études.

Pour tirer profit au maximum des subventions au REEI, Camille et Jonathan devront donc y cotiser aussi.

Mais parce qu’ils ont une faible capacité d’épargne, la question se posera pour eux : REEI ou CELI ?

REEI ou CELI ?

Camille et Jonathan « semblent avoir des objectifs d’épargne qui sont davantage à moyen et court terme qu’à long terme », observe Stéphane Thibault. « On ne parle en aucun cas de mettre de l’argent de côté pour leur retraite, par exemple. On parle de mettre de l’argent de côté pour voyager, garder un petit coussin, faire des travaux sur le chalet, payer des services pour leur fille handicapée. En termes d’horizon de placement, ça vient influencer les véhicules qui peuvent être utilisés. »

Le CELI, qui autorise les retraits sans impact fiscal, leur procure cette souplesse.

« Par contre, au niveau de l’accessibilité des sommes, le REEI est plus contraignant. »

Des retraits du REEI peuvent être effectués en tout temps au profit du bénéficiaire, mais si des subventions ont été versées au cours des 10 années précédentes, elles devront être remboursées.

« C’est donc vraiment dans une optique d’aider la personne handicapée à plus long terme qu’on va déposer des sommes dans le REEI », souligne Stéphane Thibault.

Ils pourraient songer à déplacer massivement leurs épargnes actuelles vers le REEI pour récupérer toutes les subventions qui dorment tranquillement.

« Mais si un important besoin financier apparaît dans les prochaines années et qu’ils ont besoin d’un certain capital, cet argent-là n’est pas accessible pour Camille et Jonathan », observe le comptable.

Leur approche actuelle de mettre de l’argent dans le CELI est possiblement la plus intéressante parce qu’il offre une flexibilité dont ils semblent avoir besoin.

Stéphane Thibault, comptable professionnel agréé et conseiller principal en fiscalité chez Desjardins Gestion de patrimoine

Quel type de placement ?

Camille et Jonathan se demandent quel type de placement ils devraient favoriser pour optimiser leurs maigres épargnes.

Malheureusement, il n’y a pas ici de réponse nette.

« La clé, c’est de regarder combien ils veulent conserver en disponibilité à court et moyen terme, combien ils veulent placer à plus long terme pour leur fille, combien ils veulent placer pour la retraite. C’est ce qui va dicter le montant qu’ils pourront investir dans les différents types de véhicules. Ensuite, en fonction de leurs profils d’investisseurs, ils pourront investir dans des placements qui vont répondre à leurs objectifs. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.