Les finances sont la principale source de conflits dans les couples et il est souvent difficile d’aborder les points litigieux. Surtout lorsque l’iniquité perdure depuis des décennies et qu’un rapport de forces s’est installé.

La situation

Gervaise*, 64 ans, est conjointe de fait depuis 42 ans. Elle gagne 43 000 $ par année. « La santé est bonne et j’adore mon travail. Je pensais opter pour du temps partiel dès septembre, lorsque j’aurai 65 ans, mais je ne pense pas que j’en aurai les moyens. » Elle a 60 000 $ dans son régime enregistré d’épargne-retraite (REER) et cotise actuellement 50 $ par semaine.

Son conjoint, Richard*, a pris sa retraite il y a cinq ans. La résidence où vit le couple est à lui seulement. « Mais, depuis toutes ces années, j’entretiens la maison de façon exemplaire tant à l’intérieur qu’à l’extérieur », précise Gervaise.

Il lui demande 140 $ par semaine pour couvrir une partie des frais liés à la maison et aux assurances. Le couple a fait un testament en 1983, à la naissance de sa fille. Gervaise et Richard se lèguent leurs placements et leurs biens. La résidence ira à Gervaise si Richard meurt.

Les deux conjoints paient chacun 100 $ par mois depuis trois ans pour rembourser le prêt étudiant de leur fille qui « gagne très bien sa vie ».

Richard vient d’acheter un véhicule d’une valeur de plus de 70 000 $. Même si Gervaise ne conduit presque pas, il lui demande de contribuer aux paiements à la hauteur de 200 $ par mois. De plus, Richard a tendance à multiplier les épiceries et la facture monte souvent à plus de 250 $ par semaine, ce qui ne fait pas l’affaire de Gervaise.

« Comme j’avais très peu de marge de manœuvre, j’ai demandé ma rente du Régime de rentes du Québec [RRQ]. Je n’ai pas d’argent de côté en cas d’imprévu. J’ai l’impression de ne rien avoir, comme un sentiment de vide. Que faire pour améliorer ma situation et me sentir mieux ? »

Les chiffres

Gervaise

  • Salaire annuel : 43 000 $
  • Rente mensuelle du RRQ : 700 $
  • Total des revenus par mois : 4283 $
  • REER : 60 000 $
  • Autres placements : 15 000 $

Richard

  • Rente mensuelle de son régime de retraite : 1600 $
  • Rente mensuelle du RRQ : 1000 $
  • Rente mensuelle de la pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) : 642 $
  • REER : 250 000 $, il décaisse environ 1500 $ par mois
  • Total des revenus par mois : 4742 $
  • Résidence payée : valeur de 500 000 $

La réponse

Lorsqu’un conjoint n’est pas propriétaire de la maison

« La situation de Gervaise est délicate », affirme d’emblée Marie-Ève Mc Lean, planificatrice financière chez Proactif Services Financiers, à Saint-Jean-sur-Richelieu.

Le premier point qui ne fonctionne pas, à ses yeux, est la question de la propriété de la maison. Comme elle est au nom de Richard, si le couple se sépare, Gervaise ne repartirait avec rien même si elle en paie une part depuis 42 ans et qu’elle l’entretient.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Marie-Ève Mc Lean, planificatrice financière chez Proactif Services Financiers

« Pour se protéger, les conjoints de fait peuvent signer une convention de vie commune qui précise ce qu’il arrivera en cas de séparation, indique Mme Mc Lean. On peut prévoir que celui qui n’est pas propriétaire recevra une compensation pour reconnaître son implication dans les dépenses de la maison. Normalement, on fait cette convention au début de la vie commune, lorsque tout va bien ! »

Si le couple était marié, cette question ne se poserait pas puisque la résidence entrerait dans le patrimoine familial et chaque conjoint aurait droit à la moitié de sa valeur en cas de divorce.

Au moins, le testament protège Gervaise en cas de décès de Richard. « Sans testament, comme ils sont conjoints de fait, les biens de Richard, y compris sa maison, iraient à sa fille, précise Mme Mc Lean. Mais je recommande que le couple mette son testament à jour. On suggère de le refaire tous les cinq ans, ou dès qu’il y a un changement dans la situation. »

Les dépenses communes payées au prorata des revenus

Il arrive souvent que les revenus des deux personnes qui forment le couple diffèrent. « Pour être équitable, il est conseillé que chacun paie une part des dépenses communes en proportion de ses revenus, indique Mme Mc Lean. Ainsi, chacun pourra dégager le même pourcentage de ses revenus mensuels pour ses dépenses personnelles et son épargne. »

Donc, si Richard a environ 10 % de revenus de plus en ce moment, il devrait payer 10 % de plus des factures communes.

« Il faut aussi s’entendre sur ces dépenses, affirme Mme Mc Lean. Si Gervaise n’était pas d’accord pour acheter ce véhicule et qu’elle n’a pas signé pour en devenir copropriétaire, elle ne devrait pas le payer. Contrairement à Richard qui s’est déjà assuré une retraite confortable, elle a besoin d’épargner et, pour y arriver, elle doit s’en tenir à ses dépenses prioritaires. »

La planificatrice financière se questionne aussi sur les 100 $ payés chaque mois par Gervaise pour rembourser le prêt étudiant de sa fille. « Le prêt étudiant n’a pas un gros taux d’intérêt et on reçoit un crédit d’impôt non remboursable pour la somme payée en intérêts, donc il ne représente pas une dette prioritaire à rembourser. De plus, sa fille gagne très bien sa vie : si j’étais Gervaise, j’aurais une discussion avec elle pour lui expliquer mon besoin d’épargner et je lui laisserais rembourser son prêt. »

Marie-Ève Mc Lean croit ainsi que Gervaise pourrait facilement dégager au moins 300 $ par mois en éliminant le véhicule et le prêt étudiant de ses dépenses pour se constituer un fonds d’urgence, puis pour épargner pour sa retraite.

Les rentes gouvernementales

La planificatrice financière considère aussi que Gervaise ne s’est pas aidée en retirant sa rente du RRQ avant 65 ans. « Elle sera pénalisée sur le plan de sa rente jusqu’à la fin de ses jours et en plus, elle est venue augmenter son coût de vie parce que ces 700 $, elle les dépense maintenant chaque mois et il faudra en tenir compte dans la préparation de sa retraite. En plus, comme Gervaise travaille encore, elle a un taux d’imposition plus élevé que lorsqu’elle sera retraitée. »

Elle conseille à Gervaise de se rattraper avec la pension de la Sécurité de la vieillesse (SV). « Si sa santé reste bonne et qu’elle continue à travailler, sa rente sera bonifiée de 0,6 % pour chaque mois où elle ne la demandera pas à partir de 65 ans. Il est possible de reporter la SV d’un maximum de cinq ans, ce qui permettrait d’atteindre une bonification de 36 % jusqu’à la fin de ses jours. C’est majeur considérant qu’elle a 25 % de chances de vivre jusqu’à 96 ans, d’après les normes de l’Institut québécois de planification financière. »

Faire un plan pour la retraite

Une fois que Gervaise aura réduit ses dépenses à l’essentiel et qu’elle paiera celles du couple au prorata de ses revenus, elle pourra évaluer son coût de vie mensuel. Ensuite, elle pourra voir combien elle aura besoin en économies pour prendre sa retraite.

« Je ne pense pas que son train de vie sera très élevé, affirme Mme Mc Lean. Puis, elle pourra économiser de bonnes sommes chaque mois, peut-être même la totalité de ce qu’elle reçoit en RRQ. Elle pourrait donc utiliser cette somme pour cotiser à son REER et réinvestir aussi les sommes qu’elle aura en remboursement d’impôt. Elle se rapprocherait ainsi plus rapidement de son objectif de retraite. »

Cependant, elle devra s’assurer que ses placements lui donneront suffisamment de rendement. « Tout en respectant son profil d’investisseur et son horizon de placement, elle doit éviter les placements dont le rendement est insuffisant pour couvrir l’inflation, qui est d’environ 2 % par année, précise Mme Mc Lean. Ainsi, elle préservera son pouvoir d’achat. Généralement, on met un peu plus à risque la partie des économies qui servira dans le long terme et moins à risque la partie qui servira à court et à moyen terme. »

Chose certaine, pour tenter de changer les choses, Gervaise a tout avantage à discuter avec son conjoint.

« C’est toujours délicat, mais peut-être qu’il ne sait même pas comment Gervaise se sent par rapport à ses finances, affirme Marie-Ève Mc Lean. Il faut que chacun puisse être à l’aise et, pour y arriver, ils devront trouver des solutions ensemble. L’idéal, c’est de se faire accompagner par un planificateur financier qui regardera les différentes possibilités et évaluera leurs impacts sur les finances du couple. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

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