Les autorités fiscales pourraient saisir les documents d'enquête du Mouvement Desjardins afin d'identifier les clients qui ont investi aux Bahamas pour vraisemblablement éviter de payer de l'impôt.

Rappelons que Valeurs mobilières Desjardins a congédié neuf employés, jeudi, parce qu'ils auraient fait des transactions secrètes aux Bahamas pour le compte de certains clients du Québec. De telles transactions faites à l'insu de Desjardins contreviennent aux règles de l'industrie des valeurs mobilières.

Revenu Québec et Revenu Canada ont confirmé avoir le pouvoir de saisir des documents, même auprès de tierces parties. «Nous pourrions demander d'obtenir les documents si, après enquête, nous avons des motifs raisonnables de croire qu'une infraction à nos lois fiscales a été commise», a expliqué Valérie Savard, porte-parole de l'Agence du revenu du Québec.

Les fonds des clients des neuf courtiers auraient été placés dans des comptes du Crédit Agricole Suisse aux Bahamas, archipel reconnu pour sa discrétion bancaire et son faible taux d'imposition. Ces placements non autorisés par Desjardins remontent jusqu'à 2004. L'information a été confirmée par André Chapleau, porte-parole de l'institution, qui dit ne pas avoir d'idée du nombre de clients ni du volume de fonds impliqués. Selon nos renseignements, les fonds ne seraient pas à risque et il n'y aurait pas eu de malversation.

C'est par hasard que Desjardins a appris, il y a un mois, que certains conseillers avaient fait des transactions secrètes. La direction a mis la main sur une télécopie provenant des Bahamas. Elle a mené l'enquête, en fouillant notamment dans les courriels de ses employés, et a constaté les irrégularités, a expliqué M. Chapleau.

Dans l'industrie, on juge qu'il est probable que les recherches de Desjardins aient permis d'identifier certains clients. Un expert des transactions outre-mer, qui veut conserver l'anonymat, soutient que de telles transactions sont nécessairement connues des clients et même faites à leur demande.

«Il est impossible que ce soit fait à l'insu des clients des courtiers, parce que ces clients reçoivent un état de compte de la banque des Bahamas», dit cet expert.

Selon lui, trois raisons incitent généralement un client à ouvrir un compte dans un paradis fiscal. Il peut vouloir faire de l'évasion fiscale, manipuler des titres boursiers grâce à son anonymat relatif ou mettre des fonds à l'abri de ses créanciers ou de sa conjointe en cas de faillite . «Ça se faisait beaucoup il y a 10 ou 15 ans, mais c'est beaucoup plus difficile aujourd'hui», dit-il.

Sous surveillance

L'Autorité des marchés financiers (AMF) n'a pas voulu faire de commentaires. Et à l'Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), qui régit le travail des courtiers, on confirme analyser le dossier transmis par Desjardins.

Selon les règles de l'OCRCVM, un courtier doit faire approuver ses ouvertures de compte par un surveillant et «ne doit pas avoir de comportement inconvenant ou préjudiciable à l'intérêt du public». Il est également tenu «d'observer des normes élevées d'éthique et de conduite professionnelle».

À défaut de respecter ces règles, il peut se voir imposer une amende, un blâme, une suspension ou même une radiation de l'industrie selon la gravité des infractions (nombre de clients concernés, volume d'affaires, type de stratagème, etc.).

L'employeur, tel Desjardins, peut lui aussi être sanctionné s'il est prouvé qu'il n'a pas fait preuve de la diligence voulue pour connaître systématiquement les faits relatifs à ses clients.

Devant le fisc, les contribuables délinquants peuvent choisir de faire une divulgation volontaire de leurs revenus outre-mer pour éviter de lourdes pénalités. Pour les clients des courtiers de Desjardins, cependant, il est trop tard, car avec les congédiements, «le critère de spontanéité, qui est la première condition de la divulgation volontaire, n'existe plus», précise Valérie Savard, de Revenu Québec.