Devant la montée du populisme qui s'observe aux quatre coins de la planète et qui est désormais aux portes du Québec et du Canada, il est temps pour les dirigeants et les investisseurs de mettre l'épaule à la roue afin d'aider à restaurer la confiance à l'endroit des institutions, plaide la présidente et chef de la direction de Gaz Métro, Sophie Brochu.

Préoccupée par ce qui se passe au sud de la frontière avec l'arrivée du républicain Donald Trump à la Maison-Blanche, par les événements ayant mené à l'attentat meurtrier survenu dans une mosquée de Québec à la fin janvier et par les propos de certains candidats à la direction du Parti conservateur du Canada, Mme Brochu invite les entreprises à profiter de «l'argent» et de «l'emploi», deux leviers sociaux importants, pour améliorer le système dans lequel nous vivons.

«Pour régler ce problème infiniment complexe, les entreprises doivent assumer une plus grande part de leadership, a-t-elle affirmé, lundi, devant un parterre de gens d'affaires réunis au Cercle canadien de Montréal. Pourquoi? Parce que nous détenons deux des principaux leviers de l'évolution et de l'organisation de nos sociétés: les emplois et l'argent.»

L'économiste de formation, qui se dit capitaliste, a ainsi invité les sociétés et actionnaires à «laisser aller quelques points de rendement de base», à cesser d'être «obnubilés» par les résultats du trimestre à venir et à sortir du «mutisme corporatif» en élargissant leurs critères de sélection lorsque vient le temps d'investir.

Selon Mme Brochu, on devrait plutôt chercher un «profit raisonnable», qui récompense un travail bien fait plutôt que l'atteinte d'un objectif fixé dans «l'imaginaire d'un plancher boursier».

«Si l'on considère l'environnement, le bien que l'on peut faire ou le mal qu'on peut induire dans nos décisions d'investissement, dans nos décisions de localisation ou de délocalisation, nous sommes en mesure d'atteindre cet objectif, a-t-elle dit. Investir pour faire mieux, et non en rachetant nos propres actions, ce qui est l'équivalent financier d'un chien qui court après sa queue.»

En marge de son discours, la grande patronne de Gaz Métro a dit espérer avoir lancé une réflexion au sein de la communauté d'affaires, tout en concédant que cette philosophie ne s'appliquait pas nécessairement à tous.

«Les marchés financiers, ça n'a pas de coeur, a lancé Mme Brochu. Il faut aller chercher des investisseurs qui vont dire »j'investis de l'argent dans cette entreprise parce qu'elle a une approche plus équilibrée«.»

À titre d'exemple, chez Gaz Métro, a expliqué sa dirigeante, l'argent destiné à appuyer des organismes communautaires ne se retrouve pas dans les poches des actionnaires, tout comme les montants destinés à la formation de la main-d'oeuvre que l'entreprise veut garder plutôt que de la «laisser aller».

Au cours de son discours, Mme Brochu a estimé que le Québec avait une «chance inouïe» devant lui avec une économie qui va «relativement bien», ce qui ne l'a pas empêchée de constater une forme de «corporatisme» et de «discrimination» en raison du taux de chômage beaucoup plus élevé chez les immigrants.

«Des biologistes, des ingénieurs, des médecins conduisent des (taxis) parce qu'ils viennent d'ailleurs, a-t-elle lancé. C'est le genre de choses qu'on laisse faire, que nos ordres professionnels laissent faire, que tous les autres qui ont à voir à la reconnaissance des qualifications, à l'octroi de permis, à la réglementation du travail laissent faire. Là aussi les entreprises ont un rôle à jouer. À la fin, c'est nous qui créons les emplois.»

Finalement, Mme Brochu a décoché une flèche à l'endroit de certains dirigeants du milieu des affaires dans le dossier du salaire minimum à 15 $, au moment où les banques alimentaires sont de plus en plus sollicitées par des travailleurs qui peinent à joindre les deux bouts.

«Il m'arrive de me questionner quand on demande à nos dirigeants "que va-t-il arriver si le salaire minimum passe à 15 $?" et que la réponse instantanée soit "les gens vont payer plus cher". Comme si on ne pouvait pas, nous, donner un peu (de répit) sur les rendements que nous attendons comme individu, comme investisseur», a-t-elle lancé.