Des travaux d'infrastructures ont entraîné de lourdes pertes pour les commerçants du boulevard Saint- Laurent, de l'avenue du Parc et de la rue Saint-Denis au cours des dernières années. Depuis un an, ce sont les marchands de la rue Sainte-Catherine Est, dans l'arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, qui subissent les contrecoups d'un chantier majeur.

Il serait inexact de dire qu'il n'y a pas un chat chez Antiquités et Brocantes André Comeau. Sushi, l'animal de compagnie du propriétaire, monte la garde à l'entrée du petit commerce. Mais des clients, il n'y en a pas eu de la journée.

Pendant que la petite chatte grise se prélasse sur le pas de la porte d'immenses camions et des dizaines de travailleurs coiffés de casques blancs s'activent dans la rue Sainte-Catherine. Des planches de bois couchées au fond de tranchées de gravier font office de trottoirs. Les rares piétons zigzaguent à travers le dédale de véhicules, de trous et de panneaux orange.

Baisse des ventes

À l'intérieur, le fracas de la machinerie ponctue le silence. André Comeau s'est établi sur la rue Sainte-Catherine Est il y a 10 ans, et il n'a jamais connu une telle disette.

«Mon chiffre d'affaires a baissé de plus de 50%, dit-il. Il n'y a presque plus d'achalandage.»

L'entrepreneur n'ouvre ses portes que lorsqu'il vient nourrir sa chatte. Le reste du temps, ses clients se présentent sur rendez-vous.

À quelques mètres de là, le Bistro In Vivo ne sert plus le repas du midi. Pas la peine d'attirer des clients sur la terrasse pendant que des grues cassent l'asphalte. Le restaurant ouvre donc à partir de 16h, ce qui n'a pas empêché des ouvriers de narguer une cliente qui avait mal garé son vélo.

«La perception que j'ai, c'est que le commerçant est le dernier de leurs soucis, affirme la propriétaire du restaurant, Annie Martel, qui est aussi présidente de la Société de développement commercial (SDC) Promenade Sainte-Catherine Est. On est les derniers sur la liste des gens à avertir, à qui il faut faire attention. On est juste un obstacle pour eux.»

Une faillite qui dérange

En juin 2010, la Commission des services électriques a commencé à creuser des trous dans certains secteurs la rue Sainte-Catherine Est. En septembre, l'entreprise Infrabec s'est activée à son tour pour remplacer une conduite souterraine. L'excavation géante a été bouchée avec un asphaltage temporaire quatre mois plus tard pour permettre aux marchands de profiter de l'affluence accrue du temps des Fêtes.

Quelques semaines plus tard, Infrabec a fait faillite, conséquence de l'arrestation de ses deux dirigeants par l'escouade Marteau. L'assureur du chantier a désigné la firme TGA Montréal pour prendre le relais. Cette nouvelle entreprise a relancé le chantier du début de juin avec trois phases de travaux qui devraient se conclure en novembre.

La SDC affirme que l'interdiction de circuler en voiture durera plusieurs mois encore dans un tronçon situé près de la rue Létourneux.

«Je pense que Pearl Harbor, ça devait être plus beau que ça, raille Jacques Charest, propriétaire de la boutique Serrurier Sirois. Il n'y a aucun client qui passe, les trottoirs sont à moitié achevés, il y a de la garnotte à ne plus finir.»

Cet entrepreneur a vu ses ventes chuter de 20 000$, l'an dernier, en raison du chantier qui a duré quatre mois. Et il s'attend à de lourdes pertes encore une fois cette année. En fait, n'eût été ses activités à domicile, il aurait vacillé au bord de la faillite.

Un échéancier respecté

Même si les travaux ont repris avec un mois de retard à cause de la faillite d'Infrabec, les autorités prévoient que l'échéancier initial du projet sera respecté.

L'entrepreneur TGA a mobilisé trois équipes pour accélérer les travaux, indique le porte-parole de la Ville, Philippe Sabourin. La Ville a autorisé le stationnement gratuit à certains endroits, et déployé des affiches pour annoncer que les commerces sont ouverts.

«C'est un chantier d'une grande complexité, souligne M. Sabourin. On fait les égouts, l'aqueduc, le pavé, le trottoir. L'idée, c'est qu'on passe là une fois et qu'on n'a pas à rouvrir le chantier deux mois après la fin des travaux.»

Certains commerçants semblent d'ailleurs bien s'accommoder du chantier. La boutique Folle guénille, qui vend des vêtements de designers québécois, a maintenu son chiffre d'affaires tout au long des travaux.

«Ça devait être fait, indique sa propriétaire, Isabelle Boisvert. Je trouve qu'au contraire, les travaux avancent bien. Et je suis dans le feu de l'action parce que j'habite et j'ai mon commerce sur la rue Sainte-Catherine Est.»