La flambée de l’inflation et la remontée des taux d’intérêt n’ont pas causé l’apocalypse que certains avaient prévue ni la récession annoncée depuis presque deux ans. Pas encore, mais le pire est à venir, selon un panel réuni par le Conseil des relations internationales de Montréal pour débattre de la situation économique mondiale.

Le cycle économique est plus long que par le passé, mais il suit le même chemin que d’habitude, estime Martin Lefebvre, stratège et chef des placements de Banque Nationale Investissements. « Les hausses de taux d’intérêt sont toujours suivies par un ralentissement économique ou une récession, a-t-il souligné. L’atterrissage en douceur, ça n’a jamais existé. »

La performance de l’économie américaine est meilleure que prévu, constate-t-il, mais ça s’explique par l’épargne excédentaire qui a stimulé la consommation, et ça tire à sa fin.

« Il y a un ralentissement de la croissance à venir et c’est majeur parce que ça représente 60 % de l’économie [américaine] ».

Les dépenses importantes des gouvernements, qui se maintiennent à un niveau élevé depuis la fin de la pandémie, continuent aussi de soutenir l’économie, remarque Vincent Delisle, premier vice-président et chef des marchés liquides de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

« Les gouvernements dépensent en fous, dit-il, en donnant l’exemple de l’Inflation Reduction Act des États-Unis. Ça explique pourquoi l’économie prend du temps à ralentir. »

Au Canada, la politique monétaire fonctionne et l’économie a commencé à plonger. Aux États-Unis, le pire est encore à venir, estime Martin Lefebvre, notamment parce que les ménages ont des hypothèques à l’échéance plus longue (jusqu’à 30 ans) et qu’ils n’ont pas encore souffert des hausses de taux d’intérêt.

Si l’inflation persistante et les taux d’intérêt élevés finissaient par avoir raison de la résilience de l’économie et du marché du travail, il ne faudrait pas espérer une baisse rapide des taux d’intérêt, en raison, notamment, de l’augmentation généralisée de l’endettement.

On parle souvent de l’endettement élevé dans les pays émergents, mais c’est aussi un problème dans les pays industrialisés, souligne Jimmy Jean, économiste en chef et stratège du Mouvement Desjardins, qui voit déjà « le mur de dettes » de gouvernements, d’entreprises et de particuliers qui devront être financées ou refinancées.

Il donne l’exemple des États-Unis, où le service de la dette a presque doublé en un court laps de temps. « Et on est encore en expansion ; qu’est-ce qui va arriver s’il y a une récession ? », s’est-il interrogé.

Un autre facteur qui contribuera à alimenter l’inflation et à maintenir élevés les taux d’intérêt est la démondialisation, qu’on appelle aussi reshoring, c’est-à-dire la tendance à rapatrier la production dans les pays où les coûts de main-d’œuvre sont plus élevés. Les États-Unis font de gros efforts de réindustrialisation, notamment dans le secteur des semiconducteurs et celui de l’électrification des transports.

La mondialisation, qui a contribué pendant longtemps à contenir l’inflation, est « un vent de dos qu’on a perdu », constate Vincent Delisle.

Pour le moment toutefois, aucun chiffre n’indique qu’une démondialisation est en marche, a fait savoir Marie-France Paquet, économiste en chef d’Affaires mondiales Canada.

Il y a des indices, « mais dans les chiffres on ne voit pas grand-chose, ni au Canada ni aux États-Unis », a-t-elle dit.

L’investissement étranger en Chine ne baisse pas, a-t-elle précisé, et si le commerce des biens ralentit sa croissance, le commerce des services connaît un essor fulgurant.