(Ottawa) Le premier ministre Justin Trudeau et son ancien ministre des Finances Bill Morneau ont eu de profonds désaccords au sujet de la gestion des finances publiques dans les premiers mois ayant suivi l’arrivée au pouvoir des libéraux, en 2015.

La rupture entre les deux hommes était donc quasi inévitable. Elle est finalement survenue en août 2020, quand Bill Morneau a démissionné de son poste de ministre des Finances à la suite de plusieurs mois de tensions entre le premier ministre et lui au sujet de la hausse marquée des dépenses du gouvernement fédéral durant la pandémie de COVID-19.

Des détails inédits au sujet des relations houleuses qu’ont entretenues les deux hommes se retrouvent dans un nouveau livre rédigé par Marc-André Leclerc, ancien chef de cabinet de l’ex-chef du Parti conservateur Andrew Scheer.

Dans ce livre, intitulé Confidences politiques et publié aux Éditions du Journal, M. Leclerc explique en détail le travail que font dans l’ombre les proches collaborateurs de premiers ministres et de ministres, tant à Ottawa qu’à Québec. Il offre ainsi une rare incursion dans la vie de ces employés politiques qui connaissent tout du quotidien des élus qu’ils entourent.

Dans le cas de Bill Morneau, M. Leclerc a obtenu des confidences de Robert Asselin, ancien proche collaborateur du ministre. Un premier désaccord de taille a surgi entre Justin Trudeau et le grand argentier du pays dès le premier budget, présenté au printemps 2016, au sujet de la promesse électorale des libéraux de maintenir l’âge de la retraite à 65 ans au lieu de la repousser à 67 ans, comme l’avait décidé l’ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper. Cette mesure, qui avait provoqué la controverse lors de son adoption en 2012, devait entrer en vigueur en 2029.

En campagne, on avait promis de ramener la pension de Sécurité de vieillesse à 65 ans. Le ministre Morneau ne voulait rien savoir. Il voyait les coûts reliés à cette mesure. Il a insisté à plusieurs reprises pour lui dire de ne pas faire cela. Le premier ministre Trudeau a décidé de le faire quand même.

Robert Asselin, ancien proche collaborateur du ministre Bill Morneau, dans Confidences politiques

M. Asselin a occupé les fonctions de directeur du budget au bureau de M. Morneau pendant deux ans. Il a ainsi travaillé de près avec le ministre des Finances afin de produire les deux premiers budgets du gouvernement Trudeau durant son premier mandat.

Désaccords précoces

Le deuxième plan budgétaire, déposé par M. Morneau en mars 2017, a donné lieu à d’autres tensions entre le ministre et le premier ministre. Cette fois, l’affrontement portait sur une hausse des dépenses de 7 milliards de dollars pour financer diverses mesures. « Il y a eu une bataille épique entre le ministre Morneau, moi et le bureau du premier ministre Trudeau. Au net, dans le budget 2017, il n’y a pas eu de nouvelles dépenses. M. Morneau a eu gain de cause. C’est un legs dont M. Morneau devrait être fier. Il est sorti victorieux de la bataille », a confié M. Asselin à Marc-André Leclerc.

Dans la dernière semaine avant le dépôt du budget, on a enlevé pour environ 7 milliards de dollars en dépenses. M. Morneau a mis son pied à terre et il a dit : “Moi, je n’accepte pas ça.” Pour lui, ce n’était pas acceptable, c’était trop. Il trouvait que ce n’était pas une bonne idée de continuer à dépenser à ce niveau-là.

Robert Asselin, ancien proche collaborateur du ministre Bill Morneau, dans Confidences politiques

Il est normal que des tensions émergent entre le premier ministre et le ministre des Finances. Mais généralement, ces tensions ne surviennent pas si tôt durant un premier mandat. À titre d’exemple, l’ancien premier ministre Jean Chrétien et son ministre des Finances Paul Martin ont entretenu de bonnes relations de travail durant la lutte contre le déficit menée dans les années 1990. Ce n’est que vers la fin du deuxième mandat, en 1999, que leurs relations sont devenues plus tendues en raison des ambitions de M. Martin, qui s’impatientait de devenir premier ministre.

En juin, M. Morneau a mis fin à son silence en prononçant un discours dans lequel il s’est montré très critique de son ancien gouvernement. Il a en effet accusé le gouvernement Trudeau de se soucier davantage de l’image que de la substance quand vient le temps d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques économiques. De plus, il a soutenu que le gouvernement Trudeau consacrait trop d’efforts à redistribuer la richesse au pays et trop peu à la créer.

M. Morneau doit revenir à la charge au début de la prochaine année en publiant un livre sur ses années au sein du gouvernement Trudeau.