Le silence du siège social de Sony, à Tokyo, à la suite de la récente controverse de son film The Interview, a encore mis en lumière la présence d'une scission entre la maison-mère japonaise et sa filiale de cinéma, située aux États-Unis.

En 1989, l'entreprise de technologie japonaise Sony pensait frapper un grand coup en achetant le géant américain Columbia Pictures. Pourtant, 25 ans plus tard, il semble que Sony n'a pas encore réussi à bien fusionner les deux entreprises.

Savoir allier les cultures d'une industrie typiquement japonaise et d'un studio hollywoodien était tout un défi. Mais au lieu de s'atteler à la tâche, son fondateur, Akio Morita et son successeur à la direction, Norio Ohga, ont plutôt laissé Sony Pictures s'autogérer aux États-Unis, selon des experts.

«Ce sont deux entreprises séparées qui sont dirigées par deux équipes de direction séparées. Depuis les années 1990, ce sont pratiquement deux sociétés autonomes», a expliqué Damian Thong, analyste principal de Macquarie Capital Securities, au Japon.

La direction de Sony à Tokyo a refusé de commenter la sortie annulée du film The Interview, référant toutes les demandes d'entrevues à Sony Pictures, aux États-Unis. Mercredi, le long métrage a finalement été lancé sur différentes plateformes numériques, en plus d'être projeté dans 300 cinémas à travers le pays.

Les analystes croient que, par cette fusion non achevée, Sony a manqué sa chance de dépasser le géant Apple.

«Il y a eu du cafouillage et un manque de coordination pendant trop longtemps. Ils n'ont rien gagné sur le long terme; Sony aurait pu être un chef de file pour lier des dispositifs à la technologie. Honte à eux», a déploré Martin Pyykkonen, de Rosenblatt Securities.

Selon Sea-Jin Chang, auteur de l'ouvrage Samsung vs. Sony et professeur à l'Université de Singapour, le manque d'intégration entre ses différentes filiales est une des raisons pour laquelle Sony a accusé du retard par rapport à ses compétiteurs. Il estime que l'achat de Columbia Pictures était d'abord vu comme un «trophée» pour «l'ego» d'Akio Morita.

«Ils ont commis toutes les erreurs possibles lors d'une acquisition (...) Quand on enseigne un cours sur les fusions et acquisitions, on nomme ce cas comme un exemple à ne pas reproduire», a expliqué M. Sea-Jin.

La société mère a délégué beaucoup d'autonomie à sa filiale américaine, ce qui lui a permis de donner énormément de liberté à ses créateurs. En revanche, les technologies de Sony n'ont pas été mises en valeur dans les films qu'elle produit.

Sony Pictures a connu plusieurs succès dans les dernières années, notamment avec les films Arnaque américaine et 22 Jump Street. Pour l'année fiscale se terminant en mars 2014, l'entreprise a enregistré des résultats d'exploitation de 501 millions de dollars (pour des revenus de 8,05 milliards), alors que Sony à Tokyo a récolté 257 millions de dollars (pour des revenus de 75,41 milliards).

Actuellement, comme plusieurs autres entreprises, le modèle traditionnel de Sony est trop bien implanté pour que la direction ait envie d'imposer des changements drastiques, selon des analystes.

«Sony travaille encore à vase clos (...) Ils auraient dû réagir beaucoup plus rapidement», a constaté l'analyste de Wedbush Securities, Michael Pachter.

L'entreprise japonaise a plutôt été surpassée par d'autres qui avaient anticipé ces changements importants.

Apple a conçu le iPod, pour accompagner son magasin de musique iTunes, avant de créer le iPhone et le iPad, qui sont utilisés comme des outils de divertissement et d'information.

Google a acheté le site Internet de vidéos YouTube, en 2006, qu'elle a rapidement adapté à ses appareils mobiles Android.

Pendant ce temps, Sony ne sait pas où donner de la tête pour développer ses prochaines technologies.

«Avant, les gens avaient des télévisions Sony ou un Walkman et se disaient "les produits Sony sont vraiment les plus branchés", mais ce n'est plus vraiment le cas maintenant», a remarqué Benjamin Cavender, un analyste sur les tendances en consommation électronique au China Research Group de Shanghai.