Même si personne n’en parle, même si c’est tabou, la conciliation travail-ménopause est loin d’être évidente. C’est plutôt une source de stress, de détresse et de dépenses inattendues pour bien des femmes qui déplorent aussi le manque d’ouverture des entreprises face à cette étape inévitable de la vie.

Karina m’a confié qu’elle est en arrêt de travail depuis le début de l’été en raison d’un intense brouillard mental qui l’affecte au quotidien.

« J’étais assise devant mon ordinateur. Pendant deux heures, j’ai regardé les courriels entrer dans ma boîte de courriels, sans être capable de faire quoi que ce soit. Un vrai brouillard. Réellement. C’était effrayant à vivre. Ça ne m’était jamais arrivé avant. »

Son témoignage fait écho à ma chronique de lundi sur les coûts de la ménopause pour les femmes sur le marché du travail. Selon une étude pancanadienne réalisée par le cabinet comptable Deloitte, les pertes de revenus attribuables aux symptômes non gérés s’élèvent à 3,3 milliards de dollars par année. La fatigue, surtout, pousse certaines travailleuses à réduire leurs heures de travail ou à préférer un emploi moins exigeant et par conséquent moins payant.

Une femme sur dix quitte carrément le marché du travail. Christine envisage justement ce scénario extrême en raison du manque de flexibilité de son employeur.

« Moi et ma collègue, nous sommes souvent en congé maladie ou en arrêt suite aux symptômes indésirables de la ménopause. J’ai demandé d’avoir un horaire de 4 jours, car je suis trop fatiguée pour faire un 5 jours, ce qui m’a été refusé. La ménopause ne semble pas être importante à accommoder. Je suis la personne la plus formée de mon équipe et je songe vraiment à quitter mon emploi que j’ai depuis 15 ans », m’a-t-elle écrit.

Incapable de trouver un poste « gratifiant » à 3 jours par semaine dans le milieu des communications malgré des années de recherches, Nathalie fait partie de celles qui ont abandonné le travail plus tôt que prévu.

« Pas vraiment par choix. En fait, j’étais à bout de souffle à travailler 40 heures par semaine dans des milieux compétitifs et stressants. […] Non, je ne travaillerai pas dans un boulot inintéressant au tiers de mon salaire. »

Vos réactions m’ont aussi permis de réaliser l’ampleur de la facture que peut engendrer la gestion des symptômes. Les détails que Dominique Randez a partagés sur LinkedIn à ce sujet sont tout simplement stupéfiants.

Plutôt que de cesser de travailler, cette directrice des ressources humaines a décidé d’investir dans sa santé pour demeurer active. Pas moins de 20 % de ses revenus y sont consacrés : consultation de médecins au privé, suppléments, hormonothérapie, « sport intense cinq fois par semaine » avec un entraîneur, ostéopathe, physiothérapeute, acupuncteur, psychologue et neurofeedback.

« Tout ceci est extrêmement coûteux. La voie que j’ai prise est un investissement qui ne me reviendra pas, des sous qui ne s’en vont pas dans mon REER », constate la professionnelle, avec qui j’ai parlé par vidéoconférence. « Que tu amputes tes revenus ou que tu aies un budget de gestion de tes symptômes, dans les deux cas, c’est un appauvrissement. C’est inéquitable pour les femmes. » Je ne saurais mieux dire.

Même si Émilie et ses amies sont encore dans la trentaine, ce que l’avenir pourrait leur réserver suscite des conversations et des émotions.

« Nous avons toutes des ambitions professionnelles et nous trouvons ça fâchant de penser que nous pourrions être stoppées par notre anatomie. Déjà que certaines d’entre nous ont beaucoup perdu [d’argent] avec les congés de maternité, ce n’est pas si réjouissant de penser à ce qui s’en vient pour certaines d’entre nous dans une dizaine d’années. »

Comme je l’écrivais, la ménopause n’est pas le seul phénomène féminin qui ampute le revenu des femmes.

« C’est ma vie que vous décrivez », soupire une chiropraticienne mère de deux enfants. Après son premier enfant, elle a choisi de travailler à temps partiel, épuisée par son « bébé capricieux » qui ne faisait pas de siestes. Elle a encore diminué ses heures après le deuxième bébé, puisque son conjoint travaillait beaucoup. Aujourd’hui, au tour de la périménopause de frapper. « J’ai mal partout […] mon cerveau et mon corps ne fonctionnent plus comme avant. »

La professionnelle dit qu’elle en oublie ses dossiers.

Je songe à ma retraite. Je voudrais arrêter à 55 ans avant que mon corps me lâche. J’ai des sous de côté, mais pas assez. […] Oui, financièrement, c’est une catastrophe d’être une femme.

Une chiropraticienne mère de deux enfants

Pour Élise, c’était « vraiment choquant » de voir rassemblées dans mon texte toutes ces causes de revenus perdus (menstruation, grossesse, périménopause, ménopause). « Sans compter que les femmes occupent majoritairement des postes moins bien payés ! »

Au Loto-Méno, pour reprendre le titre brillant du documentaire de Véronique Cloutier, on peut avoir le malheur de tomber sur les symptômes qui nuisent à la vie professionnelle, la productivité, la capacité de gravir les échelons. Malheureusement, si les médecins ne sont pas tous bien formés sur la question, imaginez les patrons !

À leur décharge, il faut dire qu’on commence à peine à parler de ménopause et à en mesurer les conséquences sur la carrière. La peur de la stigmatisation et des préjugés a provoqué une grande omerta qu’il faut maintenant casser. Le chemin parcouru par les entreprises – et toute la société – en matière de santé mentale devrait nous donner espoir que la ménopause connaîtra le même traitement. Souhaitons seulement que le processus soit plus rapide.