Le constat est assez brutal merci pour les jeunes travailleurs fraîchement diplômés. Même s’ils ont la chance de commencer leur vie professionnelle dans un marché du travail plein de possibilités, le marché immobilier pourrait leur jouer des tours… jusqu’à leur mort.

On dit souvent que l’achat d’une propriété est une forme d’épargne forcée. C’est vrai. Pas le choix de faire passer l’hypothèque avant l’escapade de magasinage à New York. Et un jour, on se retrouve avec un bien d’une grande valeur, entièrement payé. Quelle libération ! On peut aussi être locataire toute sa vie, remarquez, et mettre de l’argent de côté dans l’espoir d’une retraite dorée.

Le hic, c’est que les deux scénarios ne s’équivalent pas. Même quand le taux d’épargne du propriétaire et du locataire est exactement le même, disons 10 % pour les fins de l’exercice.

Selon le cabinet Mercer, spécialiste en ressources humaines et en régimes de retraite, un jeune qui a aujourd’hui 25 ans et qui serait locataire toute sa vie active devrait épargner 50 % plus d’argent que celui qui devient propriétaire afin d’avoir un revenu suffisant à la retraite. Et le locataire devra atteindre trois ans de plus pour dire bye bye, boss.

Plus précisément, le propriétaire devra économiser 5,25 fois son salaire de fin de carrière pour partir à la retraite à 65 ans avec un revenu suffisant. Le locataire, pour sa part, ne pourra atteindre ce niveau financier que s’il épargne 7,9 fois son salaire, ce qui ne surviendra pas avant 68 ans.

Un revenu suffisant équivaut à environ 70 % des revenus préretraite, avec une probabilité de 75 % de ne pas manquer de fonds avant le décès. Les prestations gouvernementales sont comprises dans le calcul.

Comme « le diable est dans les détails », voici les hypothèses utilisées par Mercer : nos deux jeunes travailleurs commencent à épargner pour leur retraite à 25 ans, avec un salaire de départ de 60 000 $, indexé de 1 % net d’inflation. Celui qui habite en logement paie 2000 $ par mois. L’autre achète une maison de 500 000 $ (taux hypothécaire moyen de 4 %). Le calcul tient compte des coûts d’entretien et des taxes. Une fois à la retraite, la maison est payée et fait partie des actifs pouvant être vendus pour subvenir aux besoins.

Il s’agit évidemment d’un scénario fictif et chaque situation est différente. Une maison peut rapidement devenir un gouffre financier en raison de travaux majeurs essentiels, comme un loyer peut devenir infernal à cause des voisins ou de l’humeur du propriétaire. On pourra toujours trouver des exceptions, mais ce comparatif a le mérite de démontrer l’importance d’épargner lorsqu’on est locataire. Car le moment où se loger ne coûtera presque plus rien n’arrive… jamais.

La plupart des jeunes et, je le devine, leurs parents seront découragés par ces chiffres. D’abord parce que l’accès à la propriété est un défi de taille. Même s’il recule depuis des mois, le prix des maisons demeure nettement supérieur à ce qu’il était avant la pandémie et les taux hypothécaires n’ont pas été aussi élevés depuis 2008. L’idée de devoir épargner 10 % de ses revenus, en sus de toutes les autres obligations financières, peut aussi sembler hors de portée.

Ce serait beaucoup plus facile de viser la moitié, soit 5 %, n’est-ce pas ? La bonne nouvelle, c’est que l’écart peut souvent être comblé par le régime de retraite de son employeur. Au Canada, la cotisation médiane des entreprises est « de 5 ou 6 % », précise Jean-Philippe Côté, conseiller en placement chez Mercer.

Mais les régimes de type CELI ou REER collectif, de plus en plus répandus, ne sont pas obligatoires. « Chez nos clients, on voit un taux de cotisation des employés de 60 à 70 %. »

Au moins le tiers des travailleurs laissent donc de l’argent sur la table. C’est bien dommage. Car une cotisation d’un dollar qui se transforme en deux dollars, c’est un rendement instantané (et imbattable) de 100 % !

Pour « combattre l’inertie » des employés, une nouvelle tendance émerge. « À l’embauche, on voit de plus en plus de régimes de retraite mettre l’employé par défaut à 5 % », rapporte Jean-Philippe Côté. L’employé qui ne veut absolument pas cotiser peut ensuite en faire la demande. Certains régimes, ce qui inclut ceux à cotisations déterminées, offrent aussi la possibilité de cotiser davantage. Dans certains cas, l’employeur accroît aussi sa contribution, parfois l’avantage réside plutôt dans les faibles frais de gestion.

L’an dernier, les frais de gestion médians des régimes CD et d’épargne collective étaient de 0,6 % comparativement à 1,9 % dans le marché des particuliers, toujours selon Mercer. Cette différence est significative après des décennies d’épargne. La personne qui a toujours payé 1,9 % devra prendre sa retraite quatre ans plus tard que celle qui a déboursé 0,6 % pour jouir de la même somme.

La retraite est un rêve très lointain dans la tête des jeunes qui font leur entrée sur le marché du travail, et rarement une priorité. C’est tout à fait compréhensible. Mais ils ont besoin d’accompagnement pour ne pas se heurter à un mur dans la soixantaine. Comme les entreprises délaissent les régimes à prestations déterminées qui permettaient aux employés d’avoir une retraite confortable sans se préoccuper de quoi que ce soit, elles doivent redéfinir leur rôle. La pire idée serait de se dégager de toute responsabilité.