Lorsqu’on perd un être cher, qu’on est déstabilisé, peiné et vulnérable, ce n’est pas évident de se comporter en consommateur averti. Mais baisser la garde peut coûter cher. Émilia Dubé l’a appris à ses dépens quand son notaire lui a refilé une facture de 2590,95 $ pour gérer un héritage de 5000 $.

Les frais de notaire ont donc amputé la moitié de la somme que son amoureux lui avait laissée.

« Robert aurait pu avoir moins d’argent, ce qui m’aurait forcée à payer une partie de la facture de ma poche », constate Émilia Dubé avec stupeur. Inutile de mentionner que la dame de 80 ans a franchement l’impression de s’être fait avoir parce qu’elle a omis de poser des questions au bon moment.

Son conjoint de 96 ans résidait dans un CHSLD et il ne possédait rien d’autre qu’un compte de banque. Sans enfants, il avait légué ses maigres épargnes à son unique héritière, sa complice des dernières années.

Sa succession était donc simple au possible. Mais Émilia Dubé l’admet, à 79 ans, elle n’était pas à l’aise avec la paperasse et les téléphones qu’un décès entraîne. Quand le notaire qui a procédé à la recherche du plus récent testament lui a proposé de l’aider à gérer la succession, elle a donc accepté.

« Je n’ai pas réfléchi à ça, qu’il pourrait me facturer chaque acte qu’il faisait pour m’aider. Si j’avais su que c’était si cher, je lui aurais dit en partant que je ne voulais pas que ça coûte cher parce que Robert n’était pas riche. Je n’y ai pas pensé, parce que j’étais trop dans les émotions. »

La facture qu’elle a reçue par la poste l’a estomaquée.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Émilia Dubé a eu la surprise de recevoir une facture de son notaire de 2590,95 $ pour une succession de 5000 $.

J’ai eu un très bon service, mais j’ai fait le saut. Je m’attendais à environ 500 $. J’étais dans le champ, et pas à peu près !

Émilia Dubé,

Outre le montant, la description des actes effectués par le notaire laisse perplexe.

Ouverture du dossier ; gestion du dossier ; obtention, classification et vérification des pièces, documents et renseignements nécessaires ; entrevue préliminaire avec vous-même ; entrevues ; lecture et analyse du testament ; préparation des recherches testamentaires ; préparation d’une formule de reddition de comptes à l’amiable, etc.

En tout, la liste contient 22 éléments, parfois redondants, souvent énigmatiques. Tout ça, je vous le rappelle, pour la succession d’un homme qui ne possédait que 5000 $ dans un compte de banque.

Tarif horaire : 200 $, ce que Mme Dubé ignorait aussi.

Le même genre de scénario est survenu à une dame de l’Estrie lorsque sa mère est morte il y a quelques années. Ayant peu de connaissances en matière de succession, elle s’en est remise à un notaire qui lui a refilé une facture de plus de 600 $, alors qu’elle héritait de 2700 $.

Estimant la somme « pas raisonnable du tout », son mari a décidé d’apprendre comment liquider lui-même une succession. Ce qu’il a fait trois fois depuis le décès de sa belle-mère.

« Vive Google ! Si tu poses les bonnes questions, tout est là, comme je disais à mes étudiants », lance cet ancien enseignant qui a requis l’anonymat pour maintenir de bonnes relations avec son notaire. Pour savoir exactement quoi faire, il a commandé le document de 68 pages Que faire lors d’un décès, offert gratuitement par le gouvernement du Québec.

Consultez le guide Que faire lors d’un décès

D’après son expérience, toute personne « qui sait lire et qui a accès à l’internet » est capable de liquider une succession qui n’implique pas des fiducies, des biens immobiliers à l’étranger et des chicanes de famille. Le retraité raconte avoir expliqué le processus à des voisins, des amis et des connaissances et que la moitié ont ensuite effectué le travail eux-mêmes.

« Il ne faut pas avoir peur, c’est facile et ça coûte moins de 100 $ ! Je n’ai rien contre les notaires, mais certains frais sont abusifs, juge le retraité. Ils vont nous dire qu’eux seuls peuvent effectuer ce travail, mais c’est faux. »

Bien sûr, il faut avoir le temps et le goût de s’y mettre. Sinon, comme le souligne Isabelle Dubé dans son reportage « La facture cachée d’une mort », une simple entente verbale avec un notaire peut provoquer de mauvaises surprises. Surtout que la complexité d’un dossier n’est pas toujours proportionnelle à la valeur de la succession.

À la Chambre des notaires, la présidente Hélène Potvin explique qu’il est possible de déléguer toutes les tâches du liquidateur à un notaire ou seulement certaines. Mais dans les deux cas, un devis transparent doit être signé.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Me Hélène Potvin, présidente de la Chambre des notaires du Québec

On le répète sans cesse à nos membres. Ils doivent faire un contrat de service. Ils doivent donner une évaluation de leurs honoraires. C’est dans leurs obligations déontologiques.

Me Hélène Potvin, présidente de la Chambre des notaires du Québec

Cela n’empêchera pas que la facture du notaire puisse gruger une bonne partie, voire la totalité de l’héritage. Mais au moins, une décision éclairée pourra être prise au bon moment.

« Quand on voit que ça va arriver kif-kif, on le dit que c’est un risque d’accepter l’héritage. Et là, les gens ont une décision à prendre qui est souvent crève-cœur. Ils ont l’impression, en y renonçant, de ne pas honorer la mémoire du défunt », relate le directeur général de l’Association professionnelle des notaires du Québec, François Bibeau.

Les conseils de François Bibeau

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Me François Bibeau, directeur général de l’Association professionnelle des notaires du Québec

  • Après un décès, ne pas se rendre seul chez le notaire. « Vous êtes en situation de faiblesse émotive. Souvent, l’information donnée n’est pas retenue. »
  • Exigez un contrat de service, c’est-à-dire un devis similaire à celui que vous ferait un garagiste. « Sinon, vous quittez le bureau du notaire les yeux bandés. »
  • Le contrat doit mentionner la liste des actes qui seront faits par le notaire, une estimation des honoraires totaux, les modes de paiement acceptés, le montant de l’acompte exigé (s’il y a lieu) et les termes de paiement (une facture à la fin ou des factures au fur et à mesure qu’avance le dossier).
  • Assurez-vous que le notaire vous contactera s’il constate qu’il dépassera l’honoraire prévu. Cela est prévu dans son code de déontologie.
  • Ne présumez pas que le montant de l’héritage est proportionnel à la complexité du dossier. « Fermer un compte de banque qui contient 5000 $ ou 100 000 $, c’est le même travail. »
  • Si vous renoncez à la succession, attendez-vous à ce que cette démarche vous coûte quelques centaines de dollars.
  • Soyez patient, une liquidation peut prendre jusqu’à trois ans.