Imaginez que le défunt pipeline pétrolier Énergie Est ait reçu l’aval des autorités pour traverser le Québec vers les Maritimes. Et qu’en plein cœur des travaux, les Québécois se soient prononcés contre le projet à 60 %, lors d’un référendum.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le promoteur TransCanada se trouverait dans une situation délicate. Tout comme les politiciens qui auraient donné le feu vert en dépit de la grogne des électeurs et de leur opposition éventuelle par référendum.

C’est un peu ce que vit Hydro-Québec et son partenaire Central Maine Power (CMP) en ce moment. Les citoyens du Maine qui se sont prononcés ont voté à 59,2 % contre le passage de la ligne sur leur territoire et demandé que tout projet de cette nature soit autorisé par les deux tiers des élus du Maine, même ceux lancés depuis 2014 !

La PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, est mécontente, et ça se comprend. Il reste que le référendum populaire complique drôlement les choses, et met la gouverneure du Maine, Janet Mills – qui a appuyé le projet –, dans une fâcheuse position.

Vous me direz que les deux situations Québec-Maine ne se comparent pas. Qu’on parle d’une part de pétrole sale qui aurait fortement nourri le réchauffement climatique, et d’autre part d’hydroélectricité qui contribuerait plutôt massivement à l’amoindrir.

De fait, les 9,45 térawattheures (TWh) livrés au Massachusetts (et 0,5 TWh au Maine) auraient remplacé des énergies fossiles et éliminé 3,0 millions de tonnes de GES, soit l’équivalent de 700 000 voitures. Rarement un contrat contribuerait-il autant à l’effort mondial d’un seul coup.

Vous me direz aussi que, justement, ce sont les sociétés d’énergie fossile qui ont financé la campagne d’opposition à la ligne New England Clean Energy Connect. Plus de 92 % des 27 millions US dépensés contre la ligne viennent de trois entreprises qui, vendant principalement du gaz naturel, perdront d’importants revenus1.

Vous me direz, enfin, que les opposants n’ont pas joué franc jeu. Leur campagne « Say No to NECEC » portait à confusion, puisqu’elle invitait les citoyens à voter Oui à l’opposition au projet. De plus, les commanditaires gaziers laissent croire aux Américains qu’elles sont des « entreprises d’énergie propre diversifiées », comme le publie NextEra Energy Resources sur son site, alors que dans les faits, elles font plus de 80 % de leurs profits avec des énergies fossiles.

Il reste qu’Hydro et son partenaire font face à un processus démocratique, qu’ils ont investi trois fois plus que leurs opposants pour influencer les électeurs (68 millions US, dont 20 millions par Hydro), et que maintenant que le vote est passé, il sera difficile de le rendre illégitime. La côte est d’autant abrupte que les Mainois ne bénéficieraient que très partiellement de la ligne (0,5 Twh sur 9,95 Twh), qui rapportera des milliards de dollars à Hydro-CMP.

Dans l’État du Maine, un vote référendaire se transforme normalement en loi, qui entre en vigueur environ deux mois après le vote, ce qui donnerait le 3 janvier dans ce cas-ci. Bref, le projet serait bloqué, à moins de recevoir l’appui éventuel des deux tiers des élus, ce qui n’est pas acquis.

Le consortium auquel participe Hydro-Québec n’a pas tardé à lancer son plan B. Le mercredi 3 novembre, moins de 24 heures après le référendum, il a déposé une requête devant la Cour supérieure du Maine pour faire déclarer inconstitutionnelle la question référendaire.

Hydro-Québec et ses partenaires font valoir qu’ils ont respecté de bonne foi toutes les conditions et obtenu tous les permis avant d’aller de l’avant avec les travaux. D’ailleurs, environ 80 % de la portion américaine des terres où passe la ligne de 230 km a déjà été déboisée. Et même, 100 des 832 pylônes ont été érigés, pour une dépense de plus de 350 millions US. Les travaux se poursuivent, malgré tout.

La réponse des opposants est intéressante. Hydro-CMP n’avait pas encore le permis présidentiel quand la question référendaire a été officiellement déposée, en septembre 2020. De plus, si la question était inconstitutionnelle, pourquoi ne pas l’avoir contestée plus tôt, et pourquoi avoir participé au processus de consultation populaire ?

Bref, la partie n’est pas gagnée, quoi qu’on dise. Et entre-temps, il est probable que les opposants – Mainers for Local Power – demandent au tribunal une injonction pour faire cesser les travaux, étant donné le résultat référendaire, ce qui sera vivement contesté par Hydro-CMP.

Le taux de participation populaire n’ayant été que de 40 % et l’opposition de 60 %, seulement 24 % des électeurs du Maine, soit 241 000 personnes, pourraient empêcher qu’on efface des millions de tonnes de GES, comme le souhaite l’État voisin, qui est 5 fois plus populeux. Et comme s’échinent à le faire les grands décideurs du monde à la COP26 de Glasgow.

N’est-ce pas décourageant ?

1. Il s’agit de NextEra Energy Resources, de Vistra Energy Corp. et de Calpine Corp.