Des entreprises comme Rio Tinto et Produits forestiers Résolu ont été informées que Mashteuiatsh suspendait les négociations

(Québec) Trois communautés innues menacent d’entreprendre des poursuites judiciaires contre les grandes entreprises qui exploitent les terres ancestrales si le « silence » du gouvernement Legault persiste dans la négociation de leur Paix des Braves moderne.

« Il faut que le Québec s’active […] sinon il va se rendre responsable d’un processus d’affirmation unilatérale de nos droits, qui assurément va provoquer une situation pouvant devenir une crise économique dans nos régions », lance le chef de Mashteuiatsh, Gilbert Dominique.

« On va être obligés de faire valoir nos droits et d’interpeller nos grandes entreprises, ça va entraîner des poursuites judiciaires », ajoute-t-il en entrevue avec La Presse.

Les trois communautés du Regroupement Petapan (Mashteuiatsh au Lac-Saint-Jean, Essipit et Nutashkuan sur la Côte-Nord) montent le ton alors qu’elles attendent la contreproposition du gouvernement du Québec depuis le 31 avril. La partie du traité concernant Ottawa a été conclue la semaine dernière⁠1.

L’entente Petapan deviendrait « un formidable levier de développement économique », ont écrit les chefs innus dans une lettre adressée au premier ministre François Legault, il y a deux semaines. « A contrario, l’absence de traité entraînerait inévitablement des obstacles aux projets de développement, voire des conflits qui pourraient aussi se retrouver sur la scène judiciaire », préviennent-ils.

Cet avertissement survient alors que le gouvernement Legault envisage la construction d’un nouveau barrage hydroélectrique sur la Côte-Nord. Le développement énergétique sera d’ailleurs un thème au cœur du congrès de la Coalition avenir Québec, qui s’ouvre samedi à Sherbrooke.

Mashteuiatsh a par ailleurs déjà signifié à Produits forestiers Résolu et à Rio Tinto qu’elle suspendait la négociation d’ententes de partenariat avec eux « compte tenu de l’incertitude quant à la volonté du gouvernement du Québec de conclure honorablement » un projet de traité.

Les chefs des trois communautés doivent établir la semaine prochaine « une stratégie de durcissement » à l’égard de Québec. « Si on n’arrive pas à avoir une négociation honorable […] c’est clair qu’on ne restera pas les bras croisés. On va devoir défendre nos intérêts », martèle Gilbert Dominique.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Ian Lafrenière, ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuits

« On a encore besoin de temps », a indiqué jeudi le ministre responsable des relations avec les Premières Nations et les Inuits, Ian Lafrenière. « Comme gouvernement responsable, il faut prendre le temps que ça prend pour arriver à de bons résultats […] ce n’est pas arrêté, mais pas du tout », a-t-il insisté en entrevue.

Le ministre a aussi affirmé qu’il « comprend » que les chefs « soient nerveux » devant la situation parce qu’« il y a des gens dans leur communauté qui croient plus ou moins » à la concrétisation de l’entente qui est discutée avec les gouvernements depuis plus de 40 ans.

« Deal économique » en suspens

Le traité Petapan prévoit une compensation financière pour « les dommages du passé » causés par l’exploitation du territoire ancestral, appelé le Nitassinan, ainsi qu’une formule de « participation réelle » pour les projets de développement économique actuels et futurs.

« L’avantage d’avoir un traité, c’est que la très grande proportion des montants pour les compensations […] sont absorbés principalement par le fédéral et par la bande, par Québec également. Ça vient sécuriser les grandes entreprises », plaide le chef innu.

En l’absence d’un traité, les Innus s’adresseront donc aux entreprises pour demander des compensations sur la base des droits existants.

L’entente vient aussi avec un important « deal économique2 ». Les Innus demandent au gouvernement Legault un bloc d’énergie de 500 mégawatts et l’obligation pour les entreprises forestières de s’entendre avec eux lors de l’exploitation de terres ancestrales. Il est aussi prévu que soit versée une part des redevances perçues par Québec sur le Nitassinan d’un minimum de 3 %.

La négociation entourant la reconnaissance de la notion de « droit inhérent » à l’autodétermination n’est pas non plus réglée.

Le gouvernement Legault a évoqué des « demandes formulées concernant le développement économique, des projets énergétiques, ainsi que des demandes de volumes de bois additionnels » pour réclamer un sursis jusqu’au 31 avril, apprend-on dans la lettre des Innus.

C’est pourtant le premier ministre lui-même qui, en pleine campagne électorale, avait fixé l’échéance pour conclure ce traité historique au 31 mars 2023.

M. Lafrenière n’a pas voulu préciser quels enjeux de la négociation demandaient plus de temps, expliquant ne pas vouloir « négocier sur la place publique ».

Comité administratif ministériel

Le ministre a par ailleurs confirmé que M. Legault avait demandé au début d’avril la création d’un « comité administratif ministériel » pour se pencher sur le traité. « Au sein même du gouvernement, on a des pistes d’atterrissage à trouver […] on change beaucoup de choses avec un traité de la sorte », a-t-il dit.

M. Lafrenière a aussi souligné « faire beaucoup de travail » auprès de certains groupes, comme des entreprises et des partenaires, qui craignent que l’entente comporte « un droit de veto » des Premières Nations sur le développement. « On leur explique que ce n’est pas ça », a-t-il soutenu.

Une rencontre a eu lieu le 20 avril entre les chefs, Ian Lafrenière, le directeur de cabinet du premier ministre, Martin Koskinen, et le secrétaire général du Conseil exécutif, Yves Ouellet. Les élus autochtones disent en être ressortis « perplexes et inquiets ». Ils réclament depuis plusieurs mois une rencontre avec le premier ministre François Legault pour dénouer les derniers nœuds.

1. Lisez l’article « Traité de Petapan : les Innus et Ottawa interpellent Legault » 2. Lisez l’article « Vers une Paix des Braves “moderne” : les Innus précisent leurs demandes »