Le traité est aussi un « deal économique »

(Québec) À un mois de l’échéance fixée pour négocier un premier traité moderne depuis la Paix des Braves, les Innus dévoilent les pièces manquantes pour qu’ils y apposent leur signature : à Québec, ils demandent un bloc d’énergie de 500 mégawatts et l’obligation pour les entreprises forestières de s’entendre avec eux lors de l’exploitation des terres ancestrales.

Après plus de 40 ans de pourparlers, une entente historique entre les gouvernements fédéral et provincial et les trois communautés innues du Regroupement Petapan (Mashteuiatsh au Lac-Saint-Jean, Essipit et Nutashkuan sur la Côte-Nord) semble à portée de main.

Signe que les voyants sont au vert : une rencontre avec le ministre fédéral des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, et les chefs des trois communautés a eu lieu en début de semaine.

PHOTO FOURNIE PAR LE REGROUPEMENT PETAPAN

De gauche à droite : Ian Lafrenière, ministre des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Martin Dufour, chef d’Essipit, Gilbert Dominique, chef de Mashteuiatsh, Réal Tettaut, chef de Nutashkuan, et Marc Miller, ministre des Relations Couronne-Autochtones

C’était la première fois que les intervenants s’asseyaient à la même table depuis la conclusion de l’entente de principe d’ordre général, en 2004. « Ce n’est pas anodin », lance le chef de Mashteuiatsh, Gilbert Dominique. « Ça démontre bien sûr toute l’importance que revêt la négociation territoriale globale de Petapan », plaide-t-il en entrevue.

Malgré les progrès, des « enjeux névralgiques » restent à débattre avant l’échéance des négociations, le 31 mars. Les chefs ont demandé à rencontrer François Legault pour défaire les derniers nœuds. Une rencontre est dans les plans, a confirmé M. Lafrenière, mercredi.

L’entente viendrait notamment jeter les bases d’une nouvelle façon de collaborer avec Québec en matière de développement économique. Il n’est pas question de compenser le développement des 40 dernières années, mais des retombées économiques sont prévues pour les projets actuels et futurs.

« Un deal économique »

L’entente de 2004 prévoyait d’ailleurs le versement d’une part des redevances perçues par le gouvernement du Québec sur les ressources naturelles du Nitassinan (territoire ancestral du peuple innu) d’au minimum 3 %.

[Le traité], c’est aussi un deal économique qui va être bénéfique pour les communautés, pour les régions et les entreprises – parce que celles qui veulent venir investir, ça va leur donner [une prévisibilité] –, et finalement pour les gouvernements.

Gilbert Dominique, chef de Mashteuiatsh

Dans le nouveau traité, les Innus demandent à Québec de garantir de lui acheter un bloc d’énergie de 500 mégawatts (MW) qu’ils pourraient utiliser pour développer des projets énergétiques sur leur territoire. L’énergie pourrait ensuite être vendue à Hydro-Québec, ce qui leur permettrait de générer de la richesse.

L’éolien pourrait être privilégié, mais les communautés ne souhaitent pas se fermer à d’autres possibilités. Les projets pourraient se faire en partenariat, comme dans le cas du parc éolien Apuiat, développé par les neuf communautés innues et leur partenaire Boralex, sur la Côte-Nord.

On évoquait à l’époque de l’entente de principe, en 2004, un volume de 250 MW, qui auraient été partagés entre les signataires. Cette fois, les Innus veulent le double dans un « bloc commun » d’énergie. Ils croient qu’une hausse est nécessaire en vertu des besoins énergétiques actuels.

« On a proposé d’augmenter ça de façon substantielle », assume le chef Dominique. Les trois chefs innus ont d’ailleurs rencontré, début février, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon. « Il y a eu une belle réceptivité », a précisé M. Dominique.

Le développement énergétique est en droite ligne avec les visées du gouvernement Legault, qui a placé l’électrification du Québec et la transition énergétique au cœur de son deuxième mandat. Il répète que le défi des prochaines années sera de « bâtir un demi-Hydro-Québec ».

Autre demande, les Innus veulent que Québec rende obligatoire la conclusion d’ententes de type « répercussions-avantages » avec les entreprises forestières qui voudront exploiter le Nitassinan.

« C’est possible pour les minières, mais le Québec hésite à faire en sorte que l’industrie forestière soit tenue aussi de s’entendre avec les Premières Nations », explique le chef de Mashteuiatsh. Les Innus voudraient aussi obtenir des volumes de bois spécifiques à exploiter.

En entrevue, Ian Lafrenière indique que Québec « regarde tout ce qui a été présenté » par les Innus et est « optimiste » pour la conclusion d’un accord.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Ian Lafrenière, ministre des Relations avec les Premières Nations et les Inuit

Le ministre tempère néanmoins les attentes au sujet de l’industrie forestière. « Ce serait très difficile d’ajouter des volumes de bois, de couper plus d’arbres quand on a la stratégie de protection du caribou en même temps », illustre M. Lafrenière.

Vers un traité « moderne »

De l’aveu du chef Dominique, l’entente Petapan sera « à des années-lumière » de la Convention de la Baie-James, conclue avec les Cris. « C’est une approche totalement novatrice », souligne-t-il alors que les traités précédents venaient avec « une extinction des droits ».

C’est la seule entente à travers le pays qui comporte une formule de reconnaissance des droits ancestraux, y compris le titre aborigène.

Gilbert Dominique

Un « élément crucial » de la négociation touche d’ailleurs Ottawa, qui doit chiffrer la semaine prochaine sa proposition pour « les dommages du passé ». Le chef Dominique dit s’attendre au versement de « plusieurs centaines de millions de dollars ».

Des négociations se poursuivent aussi sur la notion du « droit inhérent » à l’autodétermination et sur les sommes qui seront versées annuellement pour la mise en œuvre du traité.

Les membres des communautés innues pourront se prononcer par référendum sur le texte du futur traité. Une phase de consultation de plusieurs mois est d’ailleurs prévue après le 31 mars, selon l’issue des discussions.

En cas d’échec, les communautés se donnent la possibilité de réactiver les recours judiciaires visant la reconnaissance de leurs droits ancestraux, suspendus le temps des négociations. Elles réclament, au total, près de 3 milliards à Québec et Ottawa, en dommages et intérêts.

Lisez l’article « Québec et les Innus sur le point de s’entendre »