(Québec) Le gouvernement Legault et les Innus entrent dans la dernière ligne droite des négociations d’un premier traité moderne depuis la Paix des Braves. Le ministre Ian Lafrenière a reçu un mandat clair de son premier ministre : faire aboutir 40 ans de pourparlers au 31 mars.

La mission est en voie d’être accomplie, de l’aveu même du chef innu responsable de la négociation, Martin Dufour. « À moins d’un revirement drastique, on pense qu’on va y arriver [d’ici la date butoir] », assure le chef d’Essipit, sur la Côte-Nord.

Les trois communautés innues du Regroupement Petapan (Essipit, Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean, et Nutashkuan), Québec et Ottawa prévoient intensifier leurs négociations au cours des prochaines semaines.

« C’est beaucoup de pression », admet le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière. Reconduit dans ses fonctions, le ministre a accepté de passer en revue les grandes priorités de son mandat à la veille du début de la nouvelle session parlementaire.

Et la négociation d’ententes « de nation à nation » figure sur la liste établie avec François Legault.

Le premier ministre a d’ailleurs gonflé les attentes lors de son discours d’ouverture, en novembre, en affirmant qu’il aimait « les résultats concrets » et qu’il voulait multiplier les accords avec les communautés. En campagne électorale, il a aussi énoncé le souhait de signer rapidement « un traité historique » avec les Innus.

Ce traité serait « l’équivalent d’une convention », illustre le ministre Lafrenière. Il confirme, sans en préciser la hauteur, que des sommes seraient notamment versées pour que les communautés signataires puissent « s’administrer et se gérer », comme le font les Cris.

« Là où je fais attention, c’est que ce qu’on faisait avant comme entente, ça amenait une extinction des droits [des Premières Nations]. Dans les traités modernes [comme celui-là], on ne fait plus ça », nuance-t-il.

Le chef Dufour évoque de son côté « une Paix des Braves moderne, actuelle et novatrice ». L’entente se rapprocherait aussi de « l’essence » de la Déclaration des Nations unies sur le droit des peuples autochtones, qui fournit un cadre vers la réconciliation.

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Le chef de la communauté innue d’Essipit, Martin Dufour

Il n’y a actuellement aucun traité au Canada qui irait aussi loin dans la reconnaissance des droits ancestraux, estime M. Dufour.

« Ça définit nos droits sur le territoire, on serait légitimés de prendre nos propres décisions, […] il y a des éléments qui touchent toutes les sphères de la vie, on parle de la santé, du développement économique, des pêches… c’est très, très large », poursuit le chef innu, rappelant que les discussions demeuraient confidentielles à ce stade.

Nouveau partenariat économique

L’entente viendrait jeter les bases d’une nouvelle façon de collaborer en matière de développement économique, explique M. Lafrenière.

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L’image que je veux enlever, c’est celle de ‟on envoie un chèque”, ce n’est pas ça du tout. On fait participer [les Premières Nations] au partage des bénéfices. C’est ce que les communautés veulent, ça peut être une prise d’actifs, ça peut être de l’emploi.

Ian Lafrenière, ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit

Le traité ne viendrait pas compenser le développement des 40 dernières années, mais prévoirait des retombées économiques pour les projets actuels et futurs, relate le ministre.

Les membres des communautés innues pourront se prononcer par référendum sur le texte du futur traité. Une phase de consultation d’une durée de deux ans est d’ailleurs prévue après la première signature.

En plus de Petapan, le gouvernement Legault espère faire progresser ses négociations avec les communautés de Wendake, d’Uashat mak Mani-Utenam, de Manawan et de Kahnawake pour conclure des ententes de différents types.

Sécurisation culturelle et langue

Le ministre Lafrenière a aussi dans les cartons le dépôt d’un premier projet de loi qui viendra enchâsser dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux la notion de sécurisation culturelle. Québec ira de l’avant au printemps après avoir reculé lors de la dernière législature.

Le texte législatif sera « inspiré » des attentes des Premières Nations, assure le ministre.

La sécurisation culturelle désigne des soins qui sont offerts dans le respect de l’identité culturelle du patient. L’objectif est d’accroître le sentiment de sécurité des Autochtones envers les services publics de santé, où il subsiste encore beaucoup de méfiance.

Le rapport de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics (la commission Viens) recommandait au gouvernement d’enchâsser cette notion dans la loi. La mort tragique de Joyce Echaquan, en septembre 2020, a ramené à l’avant-scène la recommandation.

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Carol Dubé lors des commémorations du décès de sa conjointe, Joyce Echaquan, en septembre 2021.

« Je parle assez souvent à Carol [Dubé, le veuf de Mme Echaquan] pour savoir que la crainte, c’est d’oublier ce qui est arrivé, de passer à autre chose », relate le ministre Lafrenière.

« L’inscrire dans la loi, c’est nous donner collectivement une obligation d’apporter des changements, de dire que la sécurisation, ça doit faire partie de la façon dont on donne des services maintenant », ajoute-t-il.

Ian Lafrenière explique que son projet de loi ne forcera pas les établissements de santé à appliquer des mesures « mur à mur ». L’objectif est de leur « laisser de la latitude » pour déterminer avec les communautés « ce qui est prioritaire en fonction de leur réalité régionale ».

Le ministre doit présenter un deuxième projet de loi, à l’automne 2023 cette fois, pour contribuer à la protection et à la promotion de la culture et des langues autochtones, un engagement électoral de la Coalition avenir Québec.