En dépit des démentis officiels, le scénario d'une faillite de la Grèce gagne en vigueur en Europe face aux difficultés persistantes du pays à respecter son plan de redressement et des réticences des partenaires européens à délier les cordons de la bourse.

En privé, des gouvernements européens évoquent désormais l'hypothèse d'un défaut de paiement radical de la Grèce, avec maintien du pays dans la zone euro.

Le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) française, Jean-Pierre Jouyet, prédit «une restructuration plus prononcée de la dette grecque», c'est-à-dire que les créanciers d'Athènes devront renoncer à une part plus grande de leurs remboursements par rapport à ce qui était prévu jusqu'ici.

Ce scénario de «faillite est inévitable aujourd'hui», juge Pascal Canfin, eurodéputé écologiste spécialiste des questions financières, alors que le pays est englué dans une récession économique qu'aggravent les plans d'austérité exigés par les bailleurs de fonds internationaux en échange des prêts.

Selon certains économistes, le pays pourrait devoir renoncer à rembourser jusqu'à la moitié de sa dette de 350 milliards d'euros environ.

Mardi, la chancelière allemande Angela Merkel a souligné que «la priorité absolue était d'éviter un défaut de paiement incontrôlé de la Grèce», faisant écho à son ministre de l'Économie Philip Rösler qui a mis le feu aux poudres sur les marchés.

Une manière de dire en creux qu'un défaut de paiement bien encadré de la Grèce n'est lui en revanche plus à écarter, afin d'éviter une faillite «subie» qui risquerait de se propager à d'autres pays fragiles et autrement plus importants, comme l'Italie ou l'Espagne.

La Pologne, qui assure la présidence de l'Union européenne jusqu'à fin 2011, a aussi suggéré mardi à la Grèce de s'inspirer de son expérience à la sortie du communisme, lorsque Varsovie avait négocié une réduction de son endettement de 50% avec l'aide du Club de Paris.

Un défaut de paiement «ordonné» impliquerait de nouvelles négociations avec les créanciers privés de la Grèce (banques, fonds d'investissement) qui viennent tout juste d'accepter un premier effort: une perte de valeur à terme de 21% sur les titres grecs qu'ils détiennent, dans le cadre du second plan d'aide à la Grèce. Ils seraient alors plus lourdement pénalisés.

Problème: dans un tel cas de figure, la Grèce se verrait sans doute barrer l'accès à tout financement sur les marchés pendant des années.

Un premier pas vers le défaut de paiement a été déjà franchi le 21 juillet lorsque la zone euro a décidé de faire contribuer le secteur privé au deuxième plan de sauvetage du pays de près de 160 milliards d'euros au total. Ce qui rend probable un défaut sur une toute petite partie de la dette du pays et pour une durée très brève, en accord avec les créanciers.

Mais depuis le front s'est fissuré au sein de la zone euro où l'approbation du plan d'aide traîne en longueur et bute sur les réticences de plusieurs pays. La Slovaquie notamment rechigne, tandis que la Finlande exige des garanties préalables, ce qui empoisonne les relations parmi les 17 pays ayant adopté l'euro.

Le doute s'est installé sur la capacité de la Grèce à pouvoir durablement respecter ses engagements d'économies et de réformes. Début septembre, les bailleurs de fonds réunis au sein d'une troïka (Union européenne, Fonds monétaire international et Banque centrale européenne) ont quitté le pays mécontents du manque de progrès du gouvernement.

Ils devraient revenir en principe dans les prochains jours mais nul ne sait s'ils accepteront de verser une nouvelle tranche d'aide vitale pour la Grèce, de 8 milliards d'euros.

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Grèce: les conséquences d'une faillite ou d'une sortie de la zone euro

La zone euro avance en territoire largement inconnu avec la crise de la dette qui la fait vaciller douze ans après sa création. Une faillite de la Grèce, voire une sortie de l'Union monétaire ne sont plus exclues, des scénarios du pire aux conséquences imprévisibles.

LA GRÈCE PEUT-ELLE FAIRE FAILLITE?

Actuellement, la Grèce ne dépend pratiquement plus des marchés pour ses emprunts, car les taux demandés y sont trop élevés. Elle vit sous perfusion de l'Europe et du Fonds monétaire international, ce qui la met à l'abri d'une éventuelle faillite, ou «défaut» par rapport à ses obligations de remboursement.

Toutefois, si ces bailleurs de fonds publics venaient à perdre patience et à suspendre leur aide en estimant que le pays ne fait pas les efforts exigés en contrepartie, ou ne parviendra pas à rembourser l'intégralité de sa dette publique de quelque 350 milliards d'euros, Athènes ne serait alors plus en mesure de faire face.

Le pays serait alors considéré en défaut de paiement sur une partie de sa dette. Cette option n'est plus exclue. La Grèce doit impérativement obtenir fin septembre ou début octobre le versement de la prochaine tranche de 8 milliards d'euros de prêts promise par ses bailleurs de fonds. Sinon elle fera défaut en octobre.

PEUT-ON ORGANISER LA FAILLITE DE LA GRÈCE?

La piste du défaut «ordonné» gagne en vigueur, en Allemagne notamment. Il s'agirait d'encadrer la faillite de la Grèce et non pas de la subir, ce qui passerait par des échanges négociés avec les créanciers privés (banques et fonds d'investissement).

De facto, cette option est déjà d'actualité: le 21 juillet la zone euro a décidé de faire contribuer le secteur privé créancier au deuxième plan de sauvetage du pays. Il devra dans ce cadre accepter de perdre une partie de sa mise de départ, ce qui pourrait entraîner un défaut d'Athènes sur une période très brève. Mais une solution pus brutale n'est plus exclue.

LA GRÈCE PEUT-ELLE SORTIR DE LA ZONE EURO?

«Aucune sortie, ni expulsion de la zone euro n'est possible d'après le traité de Lisbonne», martèle la Commission européenne. Si rien n'est prévu sur le papier, qui pourrait dans les faits empêcher un pays asphyxié par les dettes et rejeté par ses voisins de se retirer ? Ce bouleversement nécessiterait sans doute une approbation des autres États ayant adopté l'euro et peut-être un changement de traité.

QUELLES CONSÉQUENCES POUR ATHÈNES?

La Grèce réintroduirait son ancienne monnaie nationale, la drachme, avec à la clé une très forte dévaluation par rapport à la monnaie commune. Un bon point pour les exportations du pays, mais les autres conséquences seraient désastreuses. Car la dette contractée par l'État, les entreprises et les ménages grecs l'a été en euros. Ils devraient donc rembourser dans une monnaie dévalorisée, ce qui augmenterait d'autant la charge. Au final: chute du pouvoir d'achat, récession, taux prohibitifs sur le marché de la dette. En outre l'inflation s'envolerait puisque le prix des produits importés serait renchéri.

QUELS EFFETS POUR LES BANQUES ET LES PAYS VOISINS?

L'incapacité du pays à rembourser sa dette signifierait des pertes gigantesques pour les banques grecques principalement, qui en détiennent une grande partie. Elles devraient sans doute être nationalisées pour être sauvées. Cela aurait aussi des répercussions sur les banques et compagnies d'assurance des autres pays européens détenteurs de «papier» grec. Elles devraient être recapitalisées. Le taux de change de l'euro chuterait.

QUELS IMPACTS POUR LE PROJET EUROPÉEN?

Dans le sillage de la Grèce, d'autres pays budgétairement fragiles pourraient suivre le même chemin, provoquant ainsi son éclatement. Ce pourrait être le début du «détricotage» du projet.