Des chèques de quelque 70 000$ par mois à Maxine et Earl Jones? Des prêts de centaines de milliers de dollars contractés à l'insu des principaux intéressés? «C'est incroyable!» répétait encore Kevin Curran, quelques heures après la mise en faillite de la Corporation Earl Jones. Incroyable, ajoute-t-il, parce que de nombreux anciens clients de Jones n'arrivent même plus aujourd'hui à payer leurs factures courantes.

Les victimes présumées ont profité de l'occasion pour serrer les coudes. Elles étaient près d'une centaine hier matin devant le palais de justice pour réclamer une meilleure justice contre les fraudeurs. Des présumées victimes d'Earl Jones, mais aussi des investisseurs floués de Mount Real, qui ont perdu plus de 130 millions lors de la chute de cette société, en 2005.

Wendy Nelles estime que sa famille a vu plus d'un million de fonds gérés par Earl Jones partir en fumée. Après avoir perdu les revenus qu'elle tirait de la succession de son mari, il ne lui reste que le chèque de sécurité de la vieillesse du gouvernement fédéral. «Quand on passe d'un revenu régulier tous les mois à presque rien, c'est un changement assez radical. C'est très dur à accepter.»

Dur aussi pour ces trois dames âgées de 59, 72 et 82 ans, un oeillet rouge à la main, qui n'ont pas voulu dire leur nom. «Quand on a donné toute sa vie à des organismes de charité, c'est difficile d'admettre qu'on n'a plus rien», a expliqué la dame de 82 ans. Elle avait confié à Earl Jones le profit de la vente de sa maison dans l'Ouest-de-l'Île. «Je vivais avec les intérêts et je gardais l'argent pour plus tard, quand je vais avoir besoin d'aller en maison de retraite. Je suis une ancienne infirmière, je sais ce qui arrive quand on devient vieux!» Aujourd'hui, il lui reste sa pension de vieillesse. «Plusieurs d'entre nous lui avaient confié de l'argent qui allait servir à prendre soin de nous-mêmes, ajoute son amie de 72 ans. Et Earl Jones le savait.»

De l'aide pour les plus mal pris

Au Centre de ressources communautaires de l'Ouest-de-l'Île, quelque 11 000$ ont été amassés jusqu'à maintenant pour aider les plus mal pris. La coordonnatrice, Ann Davidson, indique que les offres de services sont aussi appréciées. Le Centre est notamment à la recherche d'agents immobiliers qui accepteront d'aider à vendre des maisons des victimes fauchées, ou des déménageurs prêts à donner un coup de main à une personne âgée qui devra quitter son foyer.

Déjà, l'avocat des victimes, Neil Stein, ainsi que le syndic de faillite, RSM Richter, travaillent gratuitement dans ce dossier.

Six personnes, surtout des femmes âgées, sont actuellement sous l'aile du Centre, dit Mme Davidson. «Elles ont encore leur maison, mais on ne sait pas ce qui se passera. Elles nous ont toutes dit qu'Earl Jones avait contracté une hypothèque sur la maison.» Trois de ces victimes présumées n'ont pas de famille pour leur venir en aide, dit Mme Davidson.

Le Centre, comme Jeunesse au Soleil, s'attend à recevoir bientôt d'autres demandes d'aide. «On nous a parlé d'une vingtaine de personnes qui auront bientôt besoin de notre aide, mais qui ne sont pas encore prêtes à faire le pas», dit la porte-parole Maria-José Raposo.

Jeunesse au Soleil a amassé 10 000$ en argent et en promesses de dons, venus du Québec, de l'Ontario et des États-Unis. La moitié de l'argent a déjà servi à s'occuper en priorité de deux personnes âgées malades. «On leur offre une aide temporaire pour leur permettre de se remettre sur pied, le temps qu'elles réalisent ce qui se passe.»

Pour certains, accablés par les factures de téléphone, d'électricité, d'impôts en retard, d'hypothèques et d'assurances impayées, la faillite personnelle sera inévitable. «Que vont-ils faire?» se demande Mme Davidson. «Earl Jones a trahi ses amis. Il ne sait pas ce qu'est l'amitié.»