Ève se souvient avec précision de la dernière fois qu'elle a vu sa mère. «C'était le 6 mars 2008.»

La rencontre fut brève; comme toujours, sa mère a vite disparu dans la nature. Ève, 13 ans, est retournée à sa chambre et aux couloirs impersonnels d'une unité d'hébergement du centre jeunesse de Montréal.

La jeune fille repousse la frange qui tombe sur ses beaux yeux clairs. Elle hausse les épaules, l'air résigné. C'est cela, sa vie.

 

«J'avais neuf ans et demi quand j'ai commencé à vivre en centre jeunesse. Ma mère m'avait prêtée à une amie. Cette amie m'a redonnée une première fois. Ensuite, ma mère m'a prêtée à nouveau. Finalement, l'amie a prévenu ma mère que si elle ne voulait pas me garder, elle appellerait la DPJ.»

On s'en doute, Ève n'a pas souvent l'occasion de sourire. Ni de se sentir appréciée. Mais le 7 avril, elle rayonnera sur la scène du Métropolis, à l'occasion du troisième spectacle-bénéfice de la Fondation du centre jeunesse de Montréal.

Le spectacle mettra en scène une vingtaine d'artistes québécois et une centaine de jeunes en difficulté. Ève jouera des percussions brésiliennes. L'an dernier, elle a chanté avec Kevin Parent, raconte-t-elle avec fierté. «J'aime voir tout ce monde-là nous admirer. Voir le monde sourire et, surtout, nous applaudir. Les applaudissements, c'est vraiment le bouquet!»

Aux côtés d'Ève, il y aura Océane qui, à 13 ans, a déjà été trimballée dans «trois ou quatre» familles d'accueil. Elle vit maintenant en centre d'hébergement. «J'ai commis des gestes de violence dans ma dernière famille et je le regrette», confie-t-elle.

Il y aura aussi Sean, 14 ans. «Moi, c'est un placement volontaire. Je ne suis pas en conflit avec ma mère, mais il y a la misère sociale. L'intimidation. La dépression. La maladie mentale», énumère-t-il.

Le temps d'une soirée, ces jeunes oublieront leur vie de misère. Ils vivront des émotions fortes en partageant la scène avec des artistes renommés, dont Stefie Shock, Alfa Rococo et Tricot Machine. Pour une fois, ils se sentiront valorisés. «Parce que tout le monde a droit à des souvenirs de jeunesse», dit le comédien François Chénier, porte-parole de la Fondation du centre jeunesse de Montréal.

L'organisatrice du spectacle, Manon Alarie, est intervenante depuis 25 ans, spécialiste en prévention du suicide... et percussionniste à ses heures. «Je suis certaine qu'on fait plus de prévention en jouant de la musique avec les jeunes, en les faisant travailler avec des artistes allumés qui ne leur parlent pas de leurs problèmes, qu'en leur imposant une session d'intervention classique!»

Lorsqu'elle sélectionne ses artistes en herbe parmi les 13 000 jeunes suivis par le centre jeunesse de Montréal, Mme Alarie cible les cas les plus lourds: grands négligés, suicidaires, victimes d'agressions sexuelles. «Entre celle qui a du talent et celle qui ne sort jamais, je vais choisir la deuxième», explique la dynamique intervenante. Chaque année, à force de ténacité, elle assiste à de véritables petits miracles. Comme réussir à faire danser sur scène des filles boulimiques ou anorexiques.

«Notre but, c'est de sensibiliser la population au sort de ces enfants, mais les premiers à sensibiliser, ce sont les parents», admet Mme Alarie. Ainsi, chaque jeune aura droit à un invité au Métropolis. Le 7 avril, donc, il y aura des dizaines de parents dans l'assistance. Fiers, émus, reconnaissants. Certains, pourtant, n'y seront pas. Comme la mère d'Ève. «Elle ne viendra pas, prédit la jeune adolescente. Ça fait longtemps qu'on n'a pas eu de nouvelles. Elle déménage tellement souvent qu'on perd tout le temps sa trace. La travailleuse sociale l'appelle la mère itinérante.»

Les prénoms des enfants ont été modifiés afin de préserver leur anonymat. Des billets sont disponibles au Métropolis ou chez TicketPro: 514 908-9090.