Dominique Anglade avait toutes les raisons du monde de ne pas accepter la présidence de la Coalition avenir Québec (CAQ). Elle venait d'accoucher de son troisième enfant. Elle allait être obligée de démissionner de son poste à la firme de consultants McKinsey. L'homme d'affaires Jacques Ménard insistait pour qu'elle refuse l'offre de François Legault. Un ministre influent du Parti libéral du Québec faisait de même. Dominique Anglade a préféré écouter sa voix intérieure. Trois mois plus tard, malgré la chute spectaculaire de la CAQ dans les sondages, elle demeure convaincue d'avoir fait le bon choix.

Un acte de foi. Un pur acte de foi. C'est ainsi que Dominique Anglade décrit son saut en politique et dans Fabre, où elle entend se présenter aux prochaines élections contre la ministre Michelle Courchesne. Depuis son arrivée à la présidence de la CAQ, Anglade n'a pas fait beaucoup de bruit sur la place publique ni galvanisé les foules et les médias. Quand les caméras des bulletins d'information la captent, elle est toujours cette figure discrète derrière le chef François Legault. Sans qu'elle soit une plante verte, on ne peut pas dire qu'elle déplace beaucoup d'air. Pourtant, lorsqu'on rencontre Dominique Anglade, elle dégage exactement le contraire. La poignée de main est ferme, le regard direct et l'attitude générale est celle d'une battante et d'une fonceuse, tendance bulldozer.

C'est son attachée de presse qui a appelé La Presse pour solliciter une entrevue dans la foulée du premier congrès de la CAQ, qui se termine aujourd'hui à Victoriaville. Le but? Mieux faire connaître cette jeune femme d'affaires de 38 ans d'origine haïtienne, fille de Georges Anglade, homme de gauche qui a participé à la fondation de l'UQAM et qui a servi comme ministre sous le régime d'Aristide avant de périr avec sa femme Mireille, dans le séisme haïtien de 2010. J'avais déjà rencontré Dominique Anglade lorsqu'elle était célibataire, sans enfant et présidente de la jeune chambre de commerce. Qu'en était-il 10 ans plus tard?

Dominique Anglade m'a donné rendez-vous au resto situé au-dessous de ses anciens bureaux chez McKinsey. Yeux verts, talons hauts, chemisier orange assorti à son sac à main, Dominique Anglade est un mélange de charme féminin et de détermination masculine. En 2003, lorsqu'elle travaillait à Nortel, le Parti libéral du Québec l'a courtisée très sérieusement. «Mais je ne le sentais pas, dit-elle. Pour faire le saut en politique, il faut être convaincu et, à ce moment-là, personne n'avait réussi à me convaincre que j'allais pouvoir faire une différence et avoir un impact.» Anglade en a profité pour terminer sa maîtrise en administration des affaires à HEC Montréal tout en continuant à présider la jeune chambre de commerce. En 2005, elle a quitté Nortel pour McKinsey, une multinationale de la consultation qui compte 15 000 employés et 93 bureaux dans le monde. Elle était déjà mariée à Helge Seetzen, un physicien et entrepreneur qui a vendu sa première entreprise de technologies de pointe à Dobly, en 2007, pour 30 millions. Les deux se sont rencontrés dans une fête d'Halloween à Vancouver. Anglade avait 24 ans, son futur mari, né en Allemagne, cinq ans de moins. Il était déguisé en fantôme et elle n'a jamais vu son visage de la soirée. Pourtant, le lendemain, il l'a appelée en lui disant qu'un jour, ils allaient se marier et avoir de nombreux enfants.

«Je me souviens de lui avoir dit: Si tu veux qu'on se marie, il va falloir que tu viennes vivre à Montréal. Si ça ne t'intéresse pas, dis-le-moi tout de suite parce que, pour moi, c'est non négociable. En fin de compte, ils se sont mariés, ont eu trois enfants, ont vécu à Vancouver de 2006 à 2009 avant de revenir au Québec. Anglade concède que son séjour à Vancouver lui a fait du bien. Au moment de son départ, même si elle était considérée comme une des étoiles montantes du monde des affaires et qu'elle n'en finissait plus d'accumuler les prix et les distinctions, elle avait malgré tout le sentiment d'avoir un peu fait le tour du jardin. L'éloignement a été bénéfique sans pour autant faire perdre le goût du Québec à cette fédéraliste pure et dure. «On n'a pas besoin d'être souverainiste pour aimer le Québec. Moi, j'aime le Québec. Je le veux grand et fort. Ce qui s'y passe en ce moment, sur le plan de l'éducation, de la santé, des services, est inacceptable. Et une des raisons pour lesquelles j'ai décidé de suivre François Legault, c'est parce que j'ai senti chez lui à la fois une réelle volonté de faire les choses autrement, mais aussi la capacité de le faire.»

Anglade a rencontré Legault il y a 10 ans en l'interviewant pour un texte sur la négociation qu'elle rédigeait. Ils ont parlé pendant deux heures et se sont quittés un peu désolés de savoir qu'ils ne travailleraient jamais ensemble en raison de leurs allégeances politiques divergentes.

Dominique Anglade était trop jeune pour voter au référendum de 1980, mais à celui de 1995, elle a milité activement pour le Non à Polytechnique, où elle a fait sa formation d'ingénieure. Je lui demande si ses parents ont voté pour le Oui. Elle hésite. Elle aimerait dire que non, mais sa mémoire lui fait défaut. Pour la première fois, elle perd un peu de son assurance, attristée à l'idée qu'elle ne peut plus appeler ses parents pour valider le passé. Ce moment en janvier 2010, lorsqu'elle a dû faire le deuil de ses parents, gérer la succession et lancer la Fondation Kanpé qu'elle avait esquissée avant le séisme avec Régine Chassagne d'Arcade Fire, a été le plus éprouvant de sa vie. Pas étonnant qu'après ce qu'elle a vécu il y a deux ans, la chute vertigineuse de la CAQ dans les sondages et la perte de confiance dans le chef ne l'ébranlent pas. Malgré les soubresauts des derniers mois, la foi de Dominique Anglade est intacte. Son goût de la politique aussi. Quant à cet instinct qui l'a poussée à plonger il y a trois mois, l'avenir dira s'il était, oui ou non, de bon aloi.