Dans un élan que leur entreprise qualifie de strictement personnel, une dizaine de dirigeants de SNC-Lavalin et leurs conjointes ont mené des opérations-éclair de financement pour les conservateurs dans des circonscriptions québécoises perdues d'avance. À la même époque, les bénéficiaires ont redistribué des fortunes vers les circonscriptions d'élus comme Christian Paradis, alors ministre des Travaux publics.

Riadh Ben Aïssa

Un nom ressort parmi les donateurs du Québec, de l'Ontario et de l'Alberta: celui de Riadh Ben Aïssa, ex-vice-président de SNC-Lavalin, connu pour ses liens avec le régime Kadhafi, en Libye. M. Ben Aïssa a été arrêté en Suisse à la mi-avril pour corruption et blanchiment d'argent après son départ de la firme de génie.

La dizaine de dirigeants de SNC-Lavalin identifiés par La Presse a versé 25 000$ dans deux associations de circonscription conservatrices sans la moindre perspective de victoire en 2009: Laurier-Sainte-Marie, à Montréal, et Portneuf-Jacques-Cartier, à Québec.

Dans la première, ancien fief de Gilles Duceppe, les conservateurs ont terminé aux quatrième et cinquième rangs aux deux derniers scrutins. Quant à la seconde, détenue par l'indépendant André Arthur à l'époque, les conservateurs n'y présentaient même pas de candidat.

La faible pénétration du parti de Stephen Harper dans ces circonscriptions ne l'a pas empêché d'y amasser beaucoup d'argent. L'association conservatrice de Laurier-Sainte-Marie a amassé près de 300 000$ en 2009.

Le Bloc québécois, qui semblait alors imbattable dans cette circonscription, n'y avait récolté que 78 000$, dont 50 000$ provenant d'autres instances du parti.

Dans Portneuf-Jacques-Cartier, le Parti conservateur (PCC) avait amassé 61 000$ la même année.

Sommes identiques

Outre Riadh Ben Aïssa, les dirigeants de SNC-Lavalin qui ont participé aux opérations de financement conservateur sont notamment Michael Novak, vice-président aux affaires autochtones et internationales, Patrick Lamarre, vice-président-directeur énergie, et Gilles Laramée, chef des opérations financières.

Plusieurs cadres ont donné aux deux associations conservatrices, sensiblement en même temps. Les sommes se ressemblent au cent près: 666,66$ ou 733,33$ dans Laurier-Sainte-Marie et 1100$ ou 1000$ dans Portneuf-Jacques-Cartier. Nous avons tenté de savoir s'il s'agissait du prix d'entrée d'une activité, mais personne n'a pu nous le confirmer.

Au total, La Presse a compté des dons de 9400$ dans Laurier-Sainte-Marie et 14 100$ dans Portneuf-Jacques-Cartier pour ce groupe de dirigeants en 2009.

L'association de Laurier-Sainte-Marie a viré beaucoup d'argent vers des circonscriptions de députés conservateurs cette année-là. Son virement le plus important est de loin un versement de 30 000$ à l'association conservatrice de Mégantic-L'Érable, circonscription de Christian Paradis, alors ministre des Travaux publics.

L'association conservatrice de Portneuf-Jacques-Cartier a quant à elle viré des sommes plus modestes aux circonscriptions de Charlesbourg (2000$) et Louis-Hébert (5000$). Elle a aussi fait des virements de 18 000$ l'année suivante.

Interrogée à ce sujet, la porte-parole de SNC-Lavalin, Leslie Quinton, assure que l'entreprise s'engage à respecter la loi électorale. «C'est impossible de commenter les dons faits par les individus puisqu'ils ont le droit de donner aux causes qu'ils choisissent», résume-t-elle.

Elle souligne que l'énoncé de valeurs de la firme encourage les employés à être «actifs dans leur communauté».

Louche, selon le NPD

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) qualifie la situation de «louche».

«On a une firme de génie qui bénéficie de contrats gouvernementaux, et où les gens ont soudainement envie de donner des sommes importantes. Cela a toutes les apparences d'une action concertée. C'est troublant. Est-ce qu'on s'attend à un retour d'ascenseur?» demande le député Alexandre Boulerice.

M. Boulerice trouve l'affaire d'autant plus inquiétante que Riadh Ben Aïssa, connu pour «ses contrats avec la dictature en Libye», figure dans le groupe. Il souligne aussi les importants virements de fonds vers la circonscription de Christian Paradis, qui était ministre des Travaux publics et responsable d'importants contrats publics.

«Ça brouille un peu les pistes. On n'a pas les noms des gens de SNC-Lavalin dans les donateurs de M. Paradis, on a seulement un avis de transfert d'une autre association conservatrice. Ce n'est pas illégal, mais ça demande une étape de plus pour vérifier d'où vient l'argent», dit-il.

L'attachée de presse de Christian Paradis, lieutenant politique de Stephen Harper au Québec, avait peu à dire sur cette affaire.

«Le ministre suit les règles de financement des partis politiques à la lettre et toute suggestion contraire serait fausse et diffamatoire. Le ministre n'est pas au courant des dons faits aux autres comtés», a-t-elle dit.

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Politique et génie-conseil

Au provincial comme au fédéral, la loi interdit aux entreprises de contribuer aux partis politiques ou d'utiliser des gens pour le faire.

En 2009, la loi canadienne fixait à 1100$ la contribution annuelle maximale d'un citoyen à un parti fédéral (la limite vient d'être indexée à 1200$ cette année).

Sur la scène provinciale, les firmes de génie-conseil ont eu à se défendre contre des allégations de financement politique déguisé, dans la foulée du rapport Duchesneau et des arrestations de l'escouade Marteau.

Un ancien consultant de la firme Roche a même déclaré à Radio-Canada qu'il avait trouvé des centaines de prête-noms pour du financement politique.