Le premier ministre Stephen Harper a dû affronter sans l'aide de son bras droit une des pires tempêtes à déferler sur son gouvernement: la controverse entourant l'achat de nouveaux avions de chasse.

Son chef de cabinet, Nigel Wright, s'est tenu complètement et soigneusement à l'écart du dossier depuis son entrée en poste en janvier 2011, selon ce qu'affirment plusieurs sources gouvernementales.

M. Wright s'est rapidement heurté à la «barrière éthique» qui avait été mise en place lors de sa nomination pour éviter tout conflit entre les dossiers qu'il a touchés dans le secteur privé et ceux qui pourraient atterrir sur son bureau au cabinet du premier ministre.

M. Wright était l'un des dirigeants de la société d'investissement Onex, où il s'occupait spécifiquement du secteur de l'aéronautique. Onex gère notamment des fonds pour Hawker Beechcraft, une entreprise qui s'est associée, pour certains projets, au constructeur du F-35, le géant américain Lockheed Martin.

M. Wright profite d'une absence autorisée d'Onex mais pourrait y retourner à n'importe quel moment entre juillet 2012 et janvier 2013.

Il semble avoir, au début, grandement sous-estimé la place qu'occuperait le F-35 sur l'échiquier politique, affirmant à un comité de la Chambre des communes à la fin de 2010 n'entrevoir que quelques conflits qui pourraient le contraindre à se retirer des discussions politiques. «Je ne crois pas que de telles situations se présenteront très souvent», déclarait-il alors.

Mais le fiasco du contrat des avions de chasse domine le débat politique sur la colline parlementaire depuis que le vérificateur général a indiqué, il y a un mois, que le Parlement avait été induit en erreur concernant le coût réel du programme - qu'il épingle à 25 milliards $ plutôt qu'à 16 milliards $.

Mais quel impact aura eu l'absence de M. Wright sur la capacité du premier ministre à gérer ce dossier délicat? Quand il a été embauché, M. Wright a affirmé que les balises en place ne «limiteraient pas (son) utilité auprès du premier ministre».

Le porte-parole libéral en matière de commerce, Wayne Easter, qui a été parmi les premiers députés à questionner M. Wright lors de sa comparution devant le comité en 2010, affirme n'avoir jamais cru à l'efficacité de ce «coupe-feu éthique».

«Le chef de cabinet sert d'yeux et d'oreilles au premier ministre pour les affaires du gouvernement, a-t-il expliqué. La manière dont cette affaire a été gérée est un fiasco total (...) et si (M. Wright) s'était occupé du dossier, le gouvernement ne se retrouverait pas dans ce pétrin.»

M. Wright jouit d'une solide réputation parmi les ministres. On le décrit comme un homme intelligent, énergique et optimiste, qui s'est révélé un atout précieux pour le premier ministre et son gouvernement.

Certains croient toutefois que si le dossier des F-35 a été si mal géré, c'est parce qu'un manque de supervision en haut lieu a permis à différents ministres et ministères de tirer dans des directions différentes: Industrie Canada veut encourager la création d'emplois au pays, Travaux publics s'occupe de l'approvisionnement, et la Défense nationale veut expliquer pourquoi ces avions sont indispensables.

«Je pense qu'une partie du problème découle du fait que les ministères ont couru dans des directions différentes, a dit un proche du gouvernement. Il y a toujours des leçons à tirer, et dans ce cas-ci, c'est une leçon de cohérence.»

D'autres croient toutefois que la source du problème est enfouie au coeur du ministère de la Défense nationale, et qu'elle aurait de toute façon échappé au contrôle de M. Wright.

Un autre proche du gouvernement affirme en revanche que l'équipe mise en place par M. Wright autour du premier ministre est parfaitement capable de gérer ce dossier en l'absence du chef de cabinet. «La stratégie qu'il a créée est tellement efficace qu'il y a suffisamment de gens intelligents dans son entourage et qu'il les a mis sur les bonnes pistes», a dit un conservateur de haut rang.

Pour sa part, le député néo-démocrate Pat Martin croit que le problème n'est pas ce qui se produit maintenant, mais plutôt ce qui surviendra une fois que M. Wright sera retourné chez Onex. La Loi sur les conflits d'intérêts impose une période de restriction d'un an qui interdit aux anciens fonctionnaires d'accepter des postes au sein d'une entreprise privée avec qui ils ont eu des contacts pendant qu'ils travaillaient au sein du gouvernement.

La loi interdit aussi aux anciens fonctionnaires de tirer profit de leur ancien emploi gouvernemental aux fins de leur emploi privé, ou d'utiliser de l'information à laquelle ils ont eu accès.

«Qui va surveiller cette période de restriction? C'est ridicule, a dit M. Martin. Son accès à l'information est supérieur à celui de n'importe qui au pays, et il va ramener au secteur privé toute l'information privilégiée et tous les contacts qu'il a accumulés.»

À ce sujet, M. Wright a déjà indiqué qu'il sera traité comme n'importe quelle autre personne qui a déjà travaillé pour le gouvernement. «La loi s'applique à moi comme à n'importe qui d'autre, a-t-il déclaré aux députés en 2010. Je m'attends un jour, après avoir quitté l'entourage du premier ministre, à consulter le commissaire à l'éthique pour déterminer des meilleurs moyens de me conformer à la loi. Je vais respecter la loi.»