Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec la couverture dont elle a été l'objet. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'est entretenue avec Robert Lafrenière, commissaire de l'Unité permanente anticorruption (UPAC).

1) L'UPAC a été créée le 18 février 2011. Il aura fallu plus d'un an pour procéder aux premières arrestations importantes. Trouvez-vous ce délai court ou long?

C'est court parce que, dans le cas de Mascouche, le dossier qu'on a appelé Gravier, l'enquête a commencé en octobre 2010, avant même que l'UPAC soit en place. L'unité Marteau - les enquêteurs de la Sûreté du Québec - avait commencé cette enquête à la suite de plaintes de citoyens. Un an et demi pour une enquête de ce type, avec les résultats que vous avez vus cette semaine - le nombre de personnes arrêtées, le style des personnes qu'on a arrêtées, leurs fonctions, etc. -, je crois que c'est une enquête relativement rapide quand on la compare à d'autres enquêtes de la même envergure.

2) Vous avez déposé quatre autres dossiers qui sont en attente sur le bureau du Directeur des poursuites. Qu'attend-on?

Quand on dit qu'il y a des dossiers sur le bureau des procureurs, on a l'image de dossiers qui dorment sur un bureau. Or ce n'est pas ça. Ces dossiers sont en toute fin de parcours, les procureurs doivent les analyser et il arrive souvent qu'ils demandent des compléments d'enquête. Sans entrer dans les détails, il peut arriver qu'un procureur demande une corroboration, un document... C'est la phase finale avant les perquisitions. On veut une preuve solide, bien ficelée, on ne veut pas perdre nos premiers dossiers. Je ne vous dirai pas il y aura combien de temps avant que ces dossiers n'aboutissent, j'ai fait cette erreur jadis, je ne le referai pas (rires). On apprend de nos erreurs.

3) En dévoilant l'identité de votre informateur dans les médias, ne craignez-vous pas d'avoir découragé d'autres témoins de parler?

Si le nom a émergé, c'est à cause du travail rigoureux des journalistes qui ont eu accès aux papiers judiciaires. Quand quelqu'un décide de collaborer à une enquête, les policiers lui expliquent toutes les conséquences de son geste, y compris les plus déplaisantes, et la personne doit prendre sa décision en sachant cela.

4) Auriez-vous pu protéger son identité?

La loi nous oblige à divulguer toute la preuve aux avocats de la défense. Donc, avec cet accès à tous les documents judiciaires, c'est de plus en plus difficile.

5) Nous avons appris cette semaine que le ministère de la Famille avait bloqué l'accès à des dossiers en sa possession. Est-ce la seule fois où on vous a refusé l'accès à des dossiers ou à des renseignements?

Il s'agissait davantage d'un imbroglio que d'un refus comme tel. Les enquêteurs avaient eu accès à une somme phénoménale de documents et, jusqu'à il y a deux semaines, ils n'avaient pas eu besoin des deux documents en question. Quand ils ont constaté qu'ils en avaient besoin, ils les ont demandés et les ont obtenus tout de suite. Sinon, on n'a jamais eu de problèmes de collaboration sur les sujets sur lesquels on enquête ou qu'on analyse actuellement.

6) Vous avez déclaré cette semaine que le Plan Nord, le ministère des Transports, Hydro-Québec et l'attribution des places en garderie feraient l'objet d'une «vigie». Concrètement, qu'est-ce que cela signifie? Allez-vous retourner en arrière et revoir tous les dossiers?

Grâce aux signalements fournis par les citoyens, qui sont tellement importants pour nous, on peut effectivement retourner dans le passé. La vigie signifie que nous allons surveiller tous les dossiers d'adjudication de contrats pour détecter les points vulnérables ou fragiles. Dans le cas d'Hydro-Québec, on nous a donné accès à tous les ordinateurs afin qu'on puisse revoir tous les contrats. Dans le cas du Plan Nord, nous avons une entente avec le ministère des Ressources naturelles qui fait en sorte que nous recevons de façon systématique chaque contrat qui doit être accordé par les 14 organismes concernés. Cela dit, on n'est pas limités aux principaux donneurs d'ouvrage. Tout signalement est analysé. Sans compter que nous avons aussi des équipes qui font de la prévention. Jusqu'ici, nous avons rencontré 2000 personnes issues de tous les ministères et qui participent directement à l'adjudication de contrats publics afin de leur expliquer les règles d'éthique.

7) Quel rôle les enquêtes journalistiques jouent-elles dans vos enquêtes?

Les enquêtes journalistiques ont soulevé des dossiers et donné de l'information, et c'est ce qui a lancé la réponse gouvernementale à la corruption. Les journalistes ont fait en sorte qu'on s'occupe de corruption, car, avant, on ne s'en occupait pas beaucoup. Les crimes de cols blancs n'étaient pas la priorité des policiers qui se concentraient surtout sur les crimes violents. Mais avec tout ce que les journalistes ont soulevé, c'est devenu une priorité.

8) Le désabusement est à son plus fort et, dans la population, nombreux sont ceux qui croient que vous n'êtes pas totalement indépendant du gouvernement en place. Que répondez-vous à cela?

Je suis complètement indépendant. Sur le plan opérationnel, jamais, jamais une information n'est transmise. Nous recevons un soutien sur le plan administratif et informatique - en ce qui concerne le parc informatique et l'embauche de ressources humaines -, mais vous pouvez être certaine que mardi, personne au gouvernement ne savait qu'on allait procéder à des arrestations, qui serait arrêté, à quel endroit, etc. C'est très important pour moi, il en va de ma crédibilité et surtout de la crédibilité de l'UPAC. La loi mentionne mon indépendance et si je ne m'étais pas senti à l'aise il y a un an, quand on m'a offert l'emploi, je ne l'aurais pas accepté.

9) Quelles sont les limites de vos pouvoirs? Qu'arriverait-il si une enquête vous menait à la porte du bureau d'un ministre ou du premier ministre, par exemple?

J'ai les pleins pouvoirs devant quiconque commet un acte répréhensible - fraude, abus, etc. L'UPAC a plusieurs bras et nos unités d'enquête peuvent s'échanger des renseignements et ça, c'est extrêmement puissant et efficace.

10) Est-ce que vos enquêteurs et vous êtes sensibles à la pression médiatique?

On n'est jamais insensibles et je l'ai dit cette semaine à mes gens lorsque je les ai félicités parce qu'on a travaillé fort, c'est à moi à prendre cette pression-là. Je veux que les enquêteurs travaillent en toute quiétude. J'ai déjà été policier, c'est certain qu'ils lisent les journaux et que ça les touche quand même un peu. C'est normal que les médias mettent de la pression, ils veulent que les choses bougent. J'accepte leur rôle, je prends la pression même si ça n'a pas toujours été facile. Je suis payé pour ça.

Pourquoi être intervenu mardi au moment où le maire de Mascouche, Richard Marcotte, était à Cuba?

Quand on a une opération comme celle-là, avec plusieurs personnes à arrêter, il y a des choix à faire. On était devant une possibilité de 14 arrestations sur 15, cela aurait pu arriver qu'on en ait 12 sur 15. On a pris la décision en sachant que M. Marcotte reviendrait dans les jours subséquents. Si on avait décidé de remettre l'opération de quelques jours ou de quelques semaines, après avoir briefé 120 personnes, on risquait des fuites. À un moment donné, il faut prendre une décision.