Après le témoignage percutant de l'ex-ministre fédérale de la Justice, la situation de SNC-Lavalin « demeure très inquiétante », déplore le premier ministre François Legault.

« Le prix de l'action a baissé, il n'y a pas d'actionnaire de contrôle », a-t-il observé jeudi, soulignant indirectement que la compagnie serait une proie facile pour un investisseur étranger.

Au surplus, si le procès auquel est confronté la compagnie « dure deux ou trois ans, il y aura des gros problèmes » et les emplois sont à risque, a-t-il fait valoir lors d'une mêlée de presse. SNC-Lavalin emploie 3400 personnes au Québec, et plus de 9000 au Canada.

Il n'a pas voulu donner son avis sur le rôle joué par Justin Trudeau dans ses représentations auprès de son ex-ministre Jody Wilson-Raybould. « Est-ce qu'il a mis de la pression indue ? Je ne peux pas répondre », a répondu M. Legault, reconnaissant que les derniers jours avaient augmenté le risque quant à l'avenir de la compagnie dont se siège social est à Montréal.

Le ministre de l'Économie, Pierre Fitzgibbon, déplore qu'après le témoignage de Jody Wilson-Raybould, « l'optique ne semble pas positive » pour la conclusion d'une entente entre la Couronne fédérale et SNC-Lavalin afin d'éviter un procès criminel. « Ça m'inquiète », a-t-il laissé tomber. Cette histoire a un « côté émotionnel », « maintenant, est-ce que la raison va primer ? On va voir. »

Il a rappelé que la loi permet de conclure une telle entente. « Est-ce que [le nouveau ministre fédéral de la Justice] David Lametti va avoir le courage de faire ça ? Je ne sais pas », a-t-il dit. Il a fait valoir que SNC-Lavalin « mérite de survivre » et qu'il faut « protéger les emplois ».

Comme l'a souligné François Legault, M. Fitzgibbon s'entretient régulièrement avec le président de la Caisse de dépôt, Michael Sabia. La caisse est un investisseur de premier plan dans SNC-Lavalin, détenant près de 20 % des actions.

De son côté, la ministre de la Justice, Sonia LeBel, se dit « inquiète pour le respect de nos institutions » après le témoignage de Judy Wilson-Raybould.

« Si ce qu'on allègue est vrai, c'est effectivement inquiétant qu'on ait fait des pressions. Et ça, ça m'inquiète grandement », a-t-elle affirmé lors d'une mêlée de presse avant une réunion du caucus caquiste.

Mme LeBel a déclaré qu'elle n'a pas fait et ne fera pas de pression auprès du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) dans le dossier SNC-Lavalin. Il faut comprendre qu'en plus du procès criminel intenté par la Couronne fédérale, le DPCP pourrait déposer, d'ici l'été, quatre chefs d'accusation contre l'entreprise concernant un autre dossier - des pots-de-vin versés au Québec dans le cadre d'un contrat de réfection du pont Jacques-Cartier à Montréal.

Selon la loi, comme dans le cas de la Couronne fédérale, le DPCP pourrait conclure une entente à l'amiable pour que SNC-Lavalin évite un procès.

Dans le cas d'un dépôt d'accusations, la ministre de la Justice a le pouvoir de renverser la décision, de « prendre en charge une affaire ». Mais « c'est une mesure exceptionnelle » qui implique une procédure « transparente », a insisté Mme LeBel. « Au moment où on se parle, je n'ai pas l'intention d'intervenir dans ce dossier, et rien ne me le laisse penser que j'aurai à le faire », a-t-elle dit. « Si, un jour, la décision change, parce que les circonstances changent ou les informations qu'on pourrait détenir changent, je devrai le faire en tout transparence et je devrai expliquer à la population pourquoi j'interviens, pour éviter les allégations  de pressions politiques. »

François Legault répète depuis des semaines qu'il veut que la Couronne fédérale conclut une entente avec SNC-Lavalin. Pour Sonia LeBel, ces interventions ne sont pas de nature à influencer le DPCP dans son propre dossier. « C'est le travail du DPCP de prendre des décisions à l'abri de toute influence. Ce n'est pas le premier dossier où il y a, je vais l'appeler comme ça, une pression médiatique ou une effervescence médiatique. »

Selon elle, les interventions de M. Legault sur la place publique ne représentent de la « pression politique ». « Je le traduis comme un contexte politique dans lequel le DPCP doit prendre sa décision. Une pression politique, c'est si le premier ministre me demandait d'intervenir et que j'interviendrais. Ce n'est pas le cas. »