Alors que les tractations entourant la course à la direction de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) s'intensifient, le premier ministre désigné du Québec, François Legault, n'est toujours pas prêt à dire s'il avalise la candidature de Michaëlle Jean. Il poursuit son étude du dossier, puis il prendra la température de l'eau au sommet d'Erevan avant de prendre position.

«Concernant le poste de secrétaire générale de la Francophonie, nous avons demandé rapport au conseil exécutif tout en mettant l'accent sur les attentes de notre nouveau gouvernement à l'égard de l'OIF: transparence, bonne gestion des finances de l'organisation et une culture de résultats», a indiqué son cabinet dans une déclaration écrite, vendredi.

«Le premier ministre désigné souhaite recevoir ces assurances avant de se prononcer», a-t-on ajouté.

D'ici là, François Legault presse le pas pour maîtriser le dossier. «À travers d'autres priorités, cette semaine, il prend le temps de vraiment s'y attarder, se faire »briefer« et faire tout ce qu'il y a à faire pour saisir le sujet, parce que c'est un sujet qui est assez large, et il y a beaucoup de discussions en ce moment», a souligné une source au sein de son équipe de transition.

Il se fera une tête en fonction «des tractations, des conversations qu'il aura avec la délégation canadienne, des rencontres bilatérales, et de la plénière», a ajouté cette même personne, assurant que le premier ministre désigné «va avoir quelque chose à dire au-delà de ça sur place (À Erevan, en Arménie)».

On n'exclut pas le scénario que François Legault attende de voir un consensus se dessiner avant de dire sur qui il jette son dévolu. «Éventuellement, la position, ça peut être de se retrouver devant un consensus assez large, multilatéral. (...) Donc, la question (serait) si à la fin, le premier ministre désigné se ralliera au consensus et quel sera le consensus», a exposé la source.

Ce déplacement en Arménie marquera les premiers pas du premier ministre désigné sur la scène internationale. Il pourrait avoir une rencontre bilatérale avec le président français Emmanuel Macron, mais également avec des dirigeants africains, a-t-on signalé dans son entourage. Il s'y rendra à bord de l'avion du premier ministre Justin Trudeau, avec qui il devrait aussi avoir une conversation.

Appuis

Le gouvernement canadien soutient toujours Mme Jean, mais ne tarderait pas non plus à se rallier. «Ultimement, s'il y a un consensus clair, Ottawa va le suivre», a indiqué une source bien au fait de la campagne à la direction de l'organisation, où l'élection au poste de secrétaire général se fait traditionnellement de façon consensuelle et non par vote.

Les gouvernements du Nouveau-Brunswick, membre de plein droit de l'OIF, ainsi que celui de l'Ontario, qui a le statut de membre observateur, appuient l'ancienne gouverneure générale dans sa quête d'un second mandat.

La ministre déléguée aux Affaires francophones à Queen's Park, Caroline Mulroney, lui a envoyé une lettre pour le confirmer.

«Nous souhaitons que vous obteniez un second mandat afin de poursuivre la mission de transformation profonde que l'OIF a entamée il y a quatre ans sous votre gouverne», écrit Mme Mulroney, louangeant la Canadienne pour le «formidable travail» accompli dans son premier mandat, dans cette missive datée du 1er octobre. Toronto n'envoie toutefois pas de délégation au sommet.

Du côté du Nouveau-Brunswick, malgré l'incertitude politique découlant de la récente élection, on reste certain de ce choix. «Ce que je peux vous dire, à ce moment-ci, c'est que le Nouveau-Brunswick continue d'appuyer la candidature de Mme Jean pour le renouvellement de son mandat», a confirmé Jean-François Pelletier, du conseil exécutif de la province.

Attaques

Au sommet de Dakar, en 2014, la Canadienne avait profité de la désunion des pays africains pour se sauver avec la victoire.

Cette fois, les choses se présentent différemment: la candidature de la ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, a non seulement le sceau d'approbation de l'Union africaine, mais également celui du président Macron.

Cet appui de l'Élysée fait grincer la secrétaire générale sortante. Car l'OIF «n'est pas une Alliance française», a chargé Mme Jean dans une entrevue publiée jeudi par Jeune Afrique.

Elle y a aussi reproché à son opposante Louise Mushikiwabo son «relativisme» et au président Macron son «inélégance».

Tractations

Selon ce que rapportait Le Devoir dans son édition de vendredi, les corps diplomatiques d'Ottawa et de Paris s'activent pour éviter que Justin Trudeau encaisse un revers dans la capitale arménienne, et le Quai d'Orsay aurait proposé au premier ministre d'appuyer certains dossiers canadiens aux Nations unies en échange du retrait de la candidature de la Canadienne.

Le bureau du premier ministre Trudeau n'a pas voulu confirmer cette information, pas plus que l'ambassade de France au Canada.

Une source gouvernementale canadienne a cependant plaidé qu'une défaite de la candidate endossée par Ottawa «ne serait pas un revers diplomatique» pour Justin Trudeau, parce qu'«avant tout, c'est la campagne de Mme Jean». Mais «on aimerait que ce soit réglé avant le sommet» afin que la course n'occulte pas les autres enjeux, a ajouté cette même source.

La ministre fédérale de la Francophonie, Mélanie Joly, qui sera aussi en Arménie, n'a pas non plus voulu confirmer l'existence d'un tel marchandage. «On va toujours se battre pour avoir des Canadiens à la tête de nos organisations internationales», a-t-elle offert en mêlée de presse au parlement.

De son côté, le député conservateur Alupa Clarke estime qu'il est clairement temps pour l'ancienne gouverneure générale de retirer ses billes. «Nous, on pense que Mme Jean devrait faire la chose élégante et peut-être songer à retirer sa candidature», a-t-il tranché dans le foyer de la Chambre, vendredi.

Le XVIIe Sommet de la Francophonie se tient les 11 et 12 octobre à Erevan, la capitale de l'Arménie.