Le Québec est maintenant prêt à faire face à la légalisation du cannabis, a affirmé la ministre Lucie Charlebois, hier, après que l'Assemblée nationale eut adopté le projet de loi qui encadre la commercialisation et la consommation de la substance.

La loi québécoise a été adoptée alors que le gouvernement Trudeau tarde à annoncer ses couleurs quant aux nombreux amendements qui ont été proposés par le Sénat à son projet de loi (C-45) sur la légalisation de la marijuana à des fins récréatives.

Hier soir, des informations laissaient entendre que la ministre fédérale de la Santé, Ginette Petitpas Taylor, entendait préciser les intentions d'Ottawa à cet égard aujourd'hui. En tout, 46 amendements - les deux tiers de nature technique - ont été adoptés par les sénateurs la semaine dernière après plusieurs semaines d'étude.

L'un de ces amendements donnerait aux provinces le pouvoir de prohiber la culture de la marijuana à domicile sur leur territoire si elles le souhaitent, comme le réclament d'ailleurs le Québec et le Manitoba. Mais le premier ministre Justin Trudeau a récemment écarté un tel changement du revers de la main. Dans son projet de loi C-45, le gouvernement fédéral veut permettre la production allant jusqu'à quatre plants de marijuana à domicile.

L'autre amendement important adopté par la Chambre haute, proposé par le sénateur conservateur Claude Carignan, rendrait obligatoire la divulgation d'informations sur les propriétaires des entreprises de production de cannabis, leurs dirigeants et leurs investisseurs, afin de s'assurer que le crime organisé n'utilise pas des paradis fiscaux pour blanchir son argent dans la production d'une drogue sur le point d'être légalisée au Canada.

CHANGEMENTS POSSIBLES

La ministre Petitpas Taylor a indiqué aux journalistes hier que le gouvernement était prêt à accepter certains amendements, sans toutefois donner de détails.

Le rejet de l'amendement du Sénat réclamé par le gouvernement Couillard sur la culture du pot à domicile pourrait donner lieu à une bataille judiciaire entre Québec et Ottawa devant les tribunaux afin de déterminer laquelle des deux lois a préséance sur le territoire québécois.

Hier, la ministre Charlebois a appelé le gouvernement Trudeau à « faire attention ». Elle s'est dite prête à l'affronter devant les tribunaux pour que Québec obtienne le droit d'interdire la culture à domicile.

« Je leur demande de réfléchir à ce que le Sénat leur propose et de respecter nos champs de compétences. Moi, je m'attends à ce qu'on n'utilise pas les deniers publics des Québécois et des Canadiens pour faire des batailles juridiques. » - La ministre Lucie Charlebois

L'Assemblée nationale a adopté la loi québécoise au terme de sept mois de travail législatif, par un vote de 61 contre 49. Ce projet de loi doit permettre la création, entre autres, de la Société québécoise du cannabis (SQDC).

« On est prêts, a résumé la ministre Charlebois au terme du vote. On a travaillé fort. Maintenant, on va passer à l'étape de la mise en oeuvre. »

La loi prévoit que, lorsque le gouvernement fédéral légalisera le cannabis, les adultes québécois pourront en posséder jusqu'à 150 grammes dans leur domicile. Il sera strictement interdit de conduire sous l'effet de la drogue. Le commerce de la substance sera entièrement assumé par la SQDC, une filiale de la Société des alcools (SAQ). Le gouvernement ne tirera aucun profit de ce commerce : les bénéfices financeront des programmes de prévention.

DES OBJECTIONS DE L'OPPOSITION

La grande surprise du vote est venue du Parti québécois (PQ), qu'on croyait favorable au projet de loi, mais qui s'est finalement ravisé. Le chef Jean-François Lisée a expliqué qu'il souhaitait voir la consommation de cannabis interdite dans les lieux publics.

La Coalition avenir Québec (CAQ), elle, avait déjà annoncé ses couleurs. Elle souhaitait que la consommation de la substance soit interdite jusqu'à l'âge de 21 ans. Le député Éric Caire s'est aussi opposé à ce que chaque municipalité puisse réglementer la consommation : il aurait préféré que Québec impose des normes dans l'ensemble de la province.

« Il y a, dans ce projet de loi, des lacunes majeures qui sont inacceptables », a résumé M. Caire. Si la CAQ forme le prochain gouvernement, elle va « absolument » modifier la loi, a affirmé le député.

Ces objections ont été rejetées par la ministre Charlebois. Elle s'est insurgée contre la « volte-face » du PQ et a décrié la prise de position de la CAQ.

« Elles gèrent déjà l'alcool, ces municipalités, et ce n'est pas l'enfer sur terre, a ironisé la ministre. Il n'y a pas 1 million de Québécois qui vont se mettre à consommer du cannabis sur le trottoir quand ça va être légal. »

Quant à la consommation dans les lieux publics, elle sera balisée de la même manière que le tabac, a-t-elle poursuivi.

Le cannabis au Québec, en bref

Quelques faits

• Âge légal pour consommer du cannabis : 18 ans

• Interdiction de cultiver du cannabis non thérapeutique à des fins personnelles

• Maximum de 150 grammes de cannabis séché par domicile

• Tolérance zéro au volant

• Possibilité pour les locateurs de modifier les conditions d'un bail de logement pour y ajouter une interdiction de fumer du cannabis

• Interdiction pour les travailleurs d'avoir les facultés affaiblies par la drogue

• Vente dans une vingtaine de succursales de la Société québécoise du cannabis (SQDC)

• Aucun point de vente à proximité d'un établissement préscolaire, primaire ou secondaire

• Exigence pour les producteurs de détenir une autorisation de l'Autorité des marchés publics pour pouvoir faire affaire avec la SQDC

• Restriction d'usage du cannabis dans certains lieux

• Financement minimal de 25 millions par année pour des activités de prévention et de recherche

Le projet de loi 157, c'est...

• 32 séances

• 136 heures

• 197 articles

• 138 amendements

Des interdictions

La loi québécoise adoptée hier contient une liste d'endroits où il sera interdit de fumer du cannabis :

• Dans les abribus et les aires extérieures d'attente du transport collectif.

• Sous les grandes tentes ou les chapiteaux.

• Sur les terrains d'un établissement de santé ou de services sociaux.

• Sur les terrains d'une garderie, d'une école, d'un cégep ou d'une université.

• Dans les parcs, près des aires de jeux, piscines et patinoires.

• Dans un rayon de 9 mètres de toute porte, fenêtre ou prise d'air d'un immeuble.