Le Parti québécois (PQ) propose de mettre au rancart le projet de Réseau express métropolitain (REM) de 6,4 milliards de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) et de le remplacer par un assemblage de 21 projets de trains, d'autobus express et de tramways tous azimuts, baptisé le « Grand Déblocage ».

Le projet du PQ est rendu public après deux ans de planification du REM, alors que le montage financier de ce projet est terminé, que les contrats ont été attribués, et à quelques semaines seulement du début des travaux de construction du réseau de 26 stations projeté par la CDPQ.

Selon la Caisse de dépôt, l'annulation du REM, à ce stade d'avancement, entraînerait une perte nette de près de 1 milliard de dollars en raison des compensations qui devraient être versées aux consortiums choisis pour construire le projet et fournir le matériel roulant. En conférence de presse, mardi, le PQ a dit ignorer combien l'annulation du REM pourrait coûter aux contribuables et aux déposants de la Caisse.

Le chef du PQ, Jean-François Lisée, a défendu mardi le Grand Déblocage en assurant que ce projet rejoindrait plus de gens, qu'il contribuerait davantage à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et qu'il permettrait d'éliminer un plus grand nombre de véhicules du réseau routier que le projet de la Caisse de dépôt, et ce, pour le même prix et à l'intérieur d'un échéancier comparable à celui du REM.

PHOTO FOURNIE PAR LA CAISSE DE DÉPÔT

Le projet de Réseau express métropolitain (REM)

Le plan global serait financé en récupérant les investissements voués au REM (6,4 milliards), ainsi que des sommes totalisant 1,2 milliard provenant des deniers publics, et promises par Québec dans le budget provincial. Ces sommes doivent financer la construction des accès aux gares du REM, l'électrification du réseau, le déplacement d'utilités publiques et les compensations qui seront versées aux municipalités en contrepartie de la plus-value foncière créée par le projet de la Caisse de dépôt.

En cas de désistement de la Caisse de dépôt, qui contribuera directement pour 3 milliards au financement du REM, un gouvernement péquiste compenserait le retrait de cette somme par des subventions fédérales, une réduction anticipée de la dette publique et des ponctions dans le Fonds vert du gouvernement du Québec.

MOINS D'AUTOS ET DE GES, DIT LE PQ

Selon les données diffusées mardi par le PQ, l'aménagement de cinq lignes de tramway (voir autre texte), la création de neuf corridors de bus express et des interventions prévues sur le réseau de trains de banlieue permettraient de hausser la fréquentation des réseaux de transports collectifs de plus de 500 000 déplacements par jour dans la grande région de Montréal.

En comparaison, la CDPQ prévoit que l'achalandage initial du REM s'élèverait à environ 160 000 usagers par jour, soit presque trois fois moins que la proposition péquiste.

De plus, selon le PQ, son projet régional entraînerait une baisse de 10 % du volume de circulation automobile en période de pointe matinale, soit 133 000 véhicules de moins sur le réseau routier métropolitain. Cette réduction équivaudrait à 78 fois le volume de circulation éliminé par l'implantation du REM.

Enfin, toujours selon le PQ, le Grand Déblocage permettrait de réduire chaque année de 280 000 tonnes les émissions de gaz à effet de serre, responsables des changements climatiques, soit de 8 à 10 fois plus que les projections de la CDPQ pour le REM.

PAS D'ÉTUDE SÉRIEUSE

Ces comparaisons font paraître le grand projet du PQ beaucoup plus avantageux que celui de la CDPQ. Elles doivent toutefois être prises avec une sérieuse réserve, car elles ne reposent sur aucune étude approfondie. Les coûts de chacune des interventions prévues de même que les données d'achalandage et de transfert modal - de l'automobile vers les transports collectifs - sont tirés au mieux d'études d'opportunité, parfois vieillottes, ou d'estimations de coût d'une précision très approximative.

Seule une poignée des 21 interventions projetées dans le cadre du Grand Déblocage ont déjà fait l'objet d'études de faisabilité plus poussées, qui n'ont pour la plupart jamais été rendues publiques.

Jean-François Lisée a défendu ces données. 

« Pour calculer les coûts d'infrastructures pour les lignes de tramway, sur les boulevards urbains, nous avons utilisé l'hypothèse de coûts la plus chère et la plus récente disponible, soit celle du Service rapide par bus [SRB] du boulevard Pie-IX », a dit Jean-François Lisée, chef du PQ.

Les coûts des prolongements de trains de banlieue à Joliette, Saint-Hyacinthe et Saint-Jean-sur-Richelieu ont pour leur part été estimés en considérant les coûts des gares et des doublements de voie nécessaires. Leur coût relativement peu élevé, entre 5 à 6 millions par kilomètre, s'explique par le fait qu'ils utiliseraient des emprises ferroviaires existantes, dit M. Lisée.

« Pourquoi on en fait tellement plus que le REM, avec le même montant ? C'est parce que le [train de type] Sky Train est le mode de transport le plus coûteux, et de loin, en termes d'immobilisations par kilomètre », a-t-il affirmé mardi. En comparaison, les tramways et trains de banlieue du projet péquiste, rappelle-t-il, sont des technologies connues, éprouvées et beaucoup plus économiques à implanter qu'un train léger.

Le Sky Train, un train léger implanté à Vancouver, utilise la même technologie que la Caisse de dépôt prévoit mettre en service pour le REM.

Des idées pas toujours compatibles...

Le REM, la ligne bleue, le « Grand Déblocage », la Caisse de dépôt, l'ARTM... Il est facile de se perdre dans l'avalanche de projets et la multiplication des acteurs responsables du développement des transports collectifs dans la grande région de Montréal. Que sont donc tous ces projets, qui fait quoi et, surtout, qui décide de ceux qui se feront, ou pas ? La Presse tente de répondre à certaines de ces questions.

Qu'est-ce que le Grand Déblocage ?

Il s'agit d'un plan de développement des transports en commun proposé mardi par le Parti québécois (PQ), en lieu et place du projet de Réseau express métropolitain (REM) proposé par la Caisse de dépôt et placement du Québec. Ce plan rassemble en tout 21 projets de transport, soit 5 lignes de tramways, 9 circuits de bus rapides et 7 projets d'ajouts de services ou de prolongement des trains de banlieue existants. Le PQ estime que l'ensemble de ces projets pourrait être mis en service d'ici 2025 au même prix que le REM (soit 7,4 milliards, en incluant diverses enveloppes budgétaires prévues par Québec en appui au REM).

Et qu'est-ce que le REM ?

C'est un projet de train électrique de 6,4 milliards, entièrement automatisé, comptant 26 stations prévues à Montréal, sur la Rive-Sud, en banlieue nord et dans l'Ouest-de-l'Île. Le projet offrirait aussi une liaison entre le centre-ville de Montréal et l'aéroport international Trudeau, à Dorval. La Caisse de dépôt et placement du Québec travaille sur sa planification depuis deux ans, et sa construction doit commencer le mois prochain.

Ne peuvent-ils pas être réalisés tous les deux ?

Non. D'abord, parce que l'argent nécessaire pour tous ces projets ne pousse pas dans les arbres. C'est pourquoi le PQ prévoit, s'il prend le pouvoir aux élections provinciales du 1eroctobre prochain, annuler le projet du REM afin de financer le Grand Déblocage. Certains des éléments du Grand Déblocage sont, de plus, incompatibles avec le projet du REM.

En quoi sont-ils incompatibles ?

Par exemple, le projet du PQ prévoit lui aussi une navette (un tramway) vers l'aéroport Trudeau. Le Grand Déblocage prévoit aussi de bonifier les services des trains de banlieue de Deux-Montagnes et de Vaudreuil-Hudson, alors que le REM remplacerait la totalité de la ligne Deux-Montagnes en plus de déployer une antenne, formée de plusieurs stations, dans le même axe que le train de Vaudreuil-Hudson. Le prolongement du train de Mascouche que prévoit le Grand Déblocage entre aussi en collision avec le REM, puisque celui-ci amputera ce train de banlieue qui n'aura plus d'accès vers le centre-ville.

Et c'est comme ça pour les 21 projets ?

Non. Certains des éléments les plus innovateurs du Grand Déblocage, dont l'idée d'un tramway traversant toute la pointe est de l'île jusque dans le lointain quartier de Pointe-aux-Trembles, ou l'aménagement de neuf corridors d'autobus rapides sur les autoroutes de la banlieue, pourraient très bien voir le jour malgré l'implantation du REM.

L'annulation du REM aurait-elle des conséquences ?

Oui, et elles seraient coûteuses. La Caisse de dépôt a fait savoir, mardi, que même s'il s'agit « d'une question hypothétique », l'annulation du REM, dont les contrats sont déjà attribués, entraînerait des pénalités « d'un ordre de grandeur d'environ 1 milliard », en raison des travaux déjà commencés et des compensations à verser aux consortiums responsables de sa construction et de la fourniture des rames de trains.

Et la ligne bleue, la ligne rose, qu'en advient-il ?

La ligne bleue est un prolongement de cinq stations de la ligne 5 du métro de Montréal qui est en gestation depuis presque 40 ans. Le gouvernement du Québec doit donner l'aval définitif au projet dans les prochains mois. Quant à la ligne rose, c'est une ligne de métro conçue par l'administration de la nouvelle mairesse de Montréal, Valérie Plante, qui n'est encore qu'à l'état de projet. Ni l'un ni l'autre de ces projets d'extension du métro ne sera touché par le REM ou le Grand Déblocage.

Mais qui doit décider des projets à réaliser ?

Là, ça devient compliqué. C'est l'Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), une immense bibitte administrative indépendante, mise en place en 2017, qui doit produire un nouveau plan de développement des transports pour l'ensemble de la grande région de Montréal. Tout en créant cet organisme, qui vise à dépolitiser le choix des futurs projets de transport, le gouvernement libéral de Philippe Couillard lui a partiellement lié les mains en la forçant à intégrer le REM et son opérateur, la Caisse de dépôt, en grande partie aux conditions dictées par la Caisse.

Si l'ARTM doit décider, que vient faire le PQ dans cette galère ?

S'il prend le pouvoir en octobre prochain, un gouvernement péquiste soumettra son grand déblocage et ses 21 projets à l'attention de l'ARTM, et annulera le REM. Le chef du PQ, Jean-François Lisée, a toutefois déclaré mardi qu'il n'imposerait pas certains des morceaux de son projet si la population ou les municipalités n'en veulent pas. 

Le Grand Déblocage est-il un projet sérieux ?

En un sens, oui. Il emprunte ses grandes lignes au « Grand virage », un projet de tramway élaboré par Option Transport Durable, un groupe citoyen et bénévole regroupant plusieurs experts crédibles en transport. Après la présentation du projet du REM, en 2016, le groupe s'est associé au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et à de nombreux groupes environnementaux connus surtout dans l'ouest de l'île de Montréal pour former la coalition Trainsparence. Cette coalition a mené une lutte de tous les instants depuis deux ans, jusque devant les tribunaux, contre le REM, mais elle a perdu sur toute la ligne. Le Grand Déblocage, qui intègre des autobus et des trains de banlieue au projet de Grand Virage, apparaît en un sens comme le baroud d'honneur de ce projet citoyen qui a ses qualités, et qui aurait au moins mérité d'être évalué sérieusement lors des débats publics entourant la création du REM.

Les estimations de coûts, les échéanciers et les prévisions d'achalandage claironnés par le PQ dans son grand déblocage devraient toutefois être considérés avec réserve, parce qu'ils reposent sur des études fragmentaires, approximatives et, dans certains cas, dépassées.

Le projet reçoit un accueil mitigé

La présentation du projet de « Grand Déblocage » du Parti québécois, en lieu et place du Réseau express métropolitain (REM) de la Caisse de dépôt et placement du Québec, a suscité mardi de nombreuses réactions, plus ou moins favorables, en provenance de tous les milieux. En voici un échantillon.

Valérie Plante, mairesse de Montréal: « Pas question d'abandonner le projet [du REM]. On n'est plus à la période de conception. On a eu une période de débats, il y a deux ans. Les pelles mécaniques arrivent dans quelques semaines, on veut que le processus se continue. Le REM répond à des besoins importants. Si, ensuite, un nouveau gouvernement proposait d'autres projets de transports collectifs, c'est certain qu'on va les considérer. On ne peut pas être contre la vertu et la mobilité. Encore une fois, je suis très heureuse qu'on en parle autant, si vite. »

Michel Leblanc, président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain: « Le REM est le projet le plus structurant pour la mobilité dans la métropole depuis près d'un demi-siècle. Collectivement, nous ne pouvons nous permettre de remettre en question les décisions concernant des projets si importants pour le développement économique de Montréal. Nous avons connu trop de tergiversations et de faux départs en matière de grands projets. »

François Legault, chef de la Coalition avenir Québec: « C'est irresponsable de la part de Jean-François Lisée. Il est dur à suivre. C'est comme un tacticien qui vient de sortir un nouveau lapin de son chapeau. Il n'a jamais dit ça avant. »

Steven Guilbeault, cofondateur d'Équiterre: « On pense qu'il y a des choses très intéressantes. Le tramway sur la Rive-Sud, par exemple, ou le tramway vers l'est de Montréal. Toutefois, ça ne justifie pas, à mon avis, de dire non au projet de Réseau express métropolitain. La construction du REM va commencer très bientôt. Ce n'est pas vrai qu'en claquant des doigts, on peut remplacer un projet qui est prêt à partir par plusieurs autres projets qui sont, dans certains cas, très hypothétiques. »

François Pépin, président de l'association d'usagers Trajectoire Québec: « Je trouve malheureux qu'on se sente obligé de mettre en compétition des projets, alors que le citoyen qui se déplace dans l'ensemble du territoire, lui, a besoin d'un réseau intégré. Il y a une vision de réseau [dans le projet du PQ], mais de le mettre en compétition avec le REM, ce n'est pas nécessairement souhaitable. Les éléments [du "Grand Déblocage"] prévus dans l'est de Montréal, dans la couronne nord et sur la Rive-Sud peuvent facilement s'ajouter au REM. Ils ne sont pas incompatibles. »

André Fortin, ministre des Transports, de la Mobilité durable et de l'Électrification des transports: « Ce n'est pas un plan que le PQ a lancé lors de l'étude du projet de loi. Ce n'est pas un plan que le PQ a lancé lors du dévoilement du tracé du REM. C'est un plan qu'ils dévoilent, et avec des demandes très spécifiques à la Caisse de se désengager [du REM] à quelques semaines du début des travaux. Honnêtement, ça m'apparaît improvisé et quelque chose qu'ils ont pensé sur un coin de table, à la dernière minute. »

Karel Mayrand, directeur pour le Québec de la Fondation David Suzuki: « Nous, on est super contents de voir des partis politiques faire de la surenchère autour de propositions de transports collectifs. On n'a jamais vu ça. Je ne suis pas encore convaincu que la démonstration a été faite à l'effet qu'une grande partie de ce plan-là ne peut pas se réaliser sans annuler le REM. »

- Avec Hugo Pilon-Larose et Fanny Lévesque, La Presse