L'Assemblée nationale du Québec a le droit d'interdire le port du kirpan dans son enceinte en vertu de ses privilèges parlementaires, a tranché lundi le plus haut tribunal de la province. Deux sikhs qui n'avaient  pu entrer dans l'Assemblée nationale en janvier 2011 en raison de leur petit couteau cérémonial tentaient de faire invalider une motion adoptée à l'unanimité par les élus pour exclure les kirpans.

Balpreet Singh et Harminder Kayr, deux membres de l'organisme World Sikh Organization of Canada (WSOC) se sont fait interdire l'entrée à l'Assemblée nationale pour des raisons de sécurité, le 18 janvier 2011, en raison de leur kirpan, un couteau porté par de nombreux sikhs pratiquants pour des raisons religieuses. Par conséquent, les deux hommes n'ont pas été en mesure de présenter leur mémoire devant la commission parlementaire qui étudiait un projet de loi visant à interdire le port du voile intégral dans les services publics. 

L'affaire a alors rebondi à l'Assemblée nationale, si bien que trois semaines plus tard, tous les députés présents, dont le premier ministre Jean Charest, ont voté en faveur d'une motion appuyant la décision de l'équipe de sécurité « d'interdire le port du kirpan (...) appliquant ainsi le principe de neutralité de l'État ». 

C'est cette motion que Balpreet Singh et Harminder Kayr tentaient de faire déclarer « inconstitutionnelle », puisqu'elle aurait brimé leur droit à la liberté de religion, protégée par la Charte canadienne des droits et libertés. Ils demandaient ainsi de permettre à toute personne qui « doit porter un kirpan pour des motifs religieux (de) le porter à l'intérieur de l'Assemblée nationale du Québec qu'il soit député, employé ou visiteur ».

La séparation des pouvoirs au coeur du litige

En somme, deux droits fondamentaux s'affrontaient dans ce bras de fer juridique sur la séparation des pouvoirs : le droit à la liberté de religion et le principe du privilège parlementaire. En première instance, le juge Pierre Journet de la Cour supérieure a conclu que les privilèges parlementaires de l'Assemblée nationale permettaient aux élus d'exclure des citoyens de l'enceinte du peuple, même si des droits constitutionnels pouvaient être bafoués. 

« Pour garantir la séparation des pouvoirs, la portée des révisions constitutionnelles par les tribunaux est restreinte par la portée du privilège parlementaire des législatures », écrivent les juges de la Cour d'appel du Québec, dans leur décision majoritaire rendue lundi.

Selon le plus haut tribunal de la province, infirmer la décision du juge Journet signifierait de « faire effondrer la stricte séparation des pouvoirs et de subordonner le privilège parlementaire à l'autorité de la Charte. Ce n'est pas permis par la jurisprudence de la Cour suprême ». Ainsi, même si l'exclusion du kirpan pourrait représenter une violation de la Charte, on ne peut mettre de côté la portée du privilège parlementaire, essentiel au « respect de la séparation des pouvoirs (...) dans une société libre et démocratique ». 

Le privilège parlementaire, qui tire son origine de la Loi constitutionnelle de 1867, octroie notamment aux élus la liberté de parole et l'immunité d'arrestation en matière civile à l'intérieur de l'Assemblée nationale.