Les questions d'éthique constituent «un enjeu préoccupant» au sein de la Financière agricole, indique un rapport interne sur l'organisme réalisé par l'Institut sur la gouvernance et obtenu par La Presse. On recommande de revoir la composition du conseil d'administration pour s'assurer que des officiers ou des employés de l'Union des producteurs agricoles (UPA) n'en fassent pas partie.

La Financière agricole avait refusé de diffuser le rapport en dépit d'une demande d'accès à l'information faite par La Presse. Le document de 50 pages rappelle que cinq membres du conseil d'administration sont des employés ou des officiers de l'UPA.

Des sources ont révélé le climat de tension qui régnait au sein des réunions statutaires du conseil - un représentant de l'UPA faisait constamment référence aux «filles de la ville» pour contester les propositions des autres membres.

Le bouchon a sauté quand un des représentants de l'UPA a répliqué à Sylvie Chagnon, alors présidente du conseil, qu'elle nommait «des gens qui ne connaissent rien!»

Mme Chagnon est partie depuis, et a été remplacée par Martin Cartier de façon intérimaire.

Pas de suivi

Le président de l'Institut sur la gouvernance, Michel Nadeau, ex-vice-président de la Caisse de dépôt et placement, avait l'intention d'en parler très explicitement avec le ministre de l'Agriculture au moment de déposer son rapport, le 10 novembre 2016. Pour M. Nadeau, indique-t-on en coulisses, les membres représentant l'UPA pourraient être des producteurs agricoles, mais pas des officiers, des employés ou des élus du syndicat agricole.

Pierre Paradis a quitté le Ministère, et il n'y a pas eu de suivi auprès du nouveau ministre Laurent Lessard, qui a fait savoir qu'il n'avait pas l'intention d'appliquer les recommandations du rapport.

Parmi ces membres issus directement de la structure de l'UPA, on retrouve David Boissonneault, président des Éleveurs de porc du Québec, Jacynthe Gagnon, de la Fédération des producteurs agricoles de la Rive-Nord, Pierre Lemieux, premier vice-président de la Fédération de l'UPA, Christian Overbeek, président des Producteurs de grains, et Charles Félix Ross, directeur général à l'UPA.

Les huit autres sont des membres «indépendants» - tous relèvent du président du conseil.

Le rapport constate un clivage évident entre les deux groupes chargés de veiller à la bonne gestion de l'organisme qui gère un budget de 10 milliards, les programmes d'assistance et d'assurance pour diverses productions.

Dans son tour de table des membres du conseil, l'Institut constate que 9 personnes sur 13 soulignent que «les processus actuels de désignation et de nomination des administrateurs ne permettent pas d'avoir des personnes compétentes qui sont libres de conflits d'intérêts». Huit personnes sur 13 observent que «le conseil d'administration de la Financière agricole n'est pas suffisamment indépendant avec sa composition actuelle».

Des lobbyistes de l'UPA

Le rapport de l'Institut relève des situations contraires à la déontologie : quelques administrateurs liés à l'UPA sont enregistrés comme lobbyistes. Une vérification permet de constater que Pierre Lemieux et Charles Félix Ross, deux membres du conseil choisis par l'UPA, sont aussi lobbyistes et ont eu pas moins d'une cinquantaine de mandats pour faire des représentations afin d'obtenir des changements législatifs ou réglementaires auprès du ministère de l'Agriculture, de l'Énergie, des Forêts ou de l'Environnement.

Le rapport de l'Institut désapprouve aussi le fait que ces administrateurs nommés par l'UPA soient rémunérés pour assister aux réunions du conseil, ce qui n'est pas le cas pour les autres membres.

Des sources indiquent que même si, théoriquement, le choix des membres du conseil relève du gouvernement, l'UPA ne présente que cinq candidats pour cinq postes qui lui sont réservés. Les mandats de MM. Ross et Overbeek sont terminés depuis 2014, sans qu'ils aient été renouvelés. Celui de Pierre Lemieux est échu depuis 2016.