Les adversaires politiques de Pierre Karl Péladeau somment le chef du Parti québécois de s'expliquer sur la stratégie fiscale adoptée par Quebecor World, et dénoncent au passage son «interprétation moralement élastique» des lois fiscales.

Une enquête de La Presse a révélé qu'alors que Pierre Karl Péladeau était l'une de ses têtes dirigeantes, Quebecor World a créé une dizaine de sociétés et succursales dans des États reconnus pour leurs régimes fiscaux avantageux. Des pays comme la Suisse et le Luxembourg, où l'entreprise n'avait pourtant pas d'imprimerie.

Six professeurs de droit consultés considèrent que ce type d'entités permet habituellement d'alléger la facture fiscale mondiale de l'entreprise de façon parfaitement légale.

Au bureau du premier ministre Philippe Couillard, on ne conteste pas la légalité de la stratégie de Quebecor World. Mais le directeur des relations médias, Charles Robert, souligne que M. Péladeau a affirmé que Québecor n'a jamais eu de filiales dans des paradis fiscaux.

«Il semble avoir une interprétation moralement élastique de ses agissements», a affirmé M. Robert.

«C'est à lui de faire la démonstration que ces initiatives se raccordent avec ses déclarations antérieures», a-t-il ajouté.

La Coalition avenir Québec a fait valoir que lors de son entrée en politique, en 2014, M. Péladeau a déclaré au micro de Paul Arcand que Québecor n'a «jamais» utilisé des «"schemes" fiscaux» sous sa direction.

«Si ces informations sont exactes, M. Péladeau devra fournir des explications afin de réconcilier avec la réalité sa déclaration de 2014 selon laquelle il n'avait jamais utilisé de "schemes" fiscaux, a indiqué le porte-parole de la CAQ, Guillaume Simard-Leduc. Il doit répondre aux questions, la population s'attend à avoir l'heure juste.»

En mars 2014, en pleine campagne électorale, Québec solidaire avait révélé que Québecor avait ouvert 68 filiales au Delaware, considéré par certains comme un paradis fiscal. Le parti avait aussi critiqué Philippe Couillard pour avoir eu un compte bancaire sur l'île de Jersey.

Le député Amir Khadir estime que l'enquête de La Presse appuie ce que sa formation avait révélé à l'époque sur Québecor.

« Évidemment, les gens jugent sévèrement ces choses, a-t-il indiqué. Mais ce qui est particulièrement grave, c'est que le passé de M. Péladeau est source de profond malaise pour l'ensemble du mouvement souverainiste dont Québec solidaire fait partie. Le discrédit affecte tout le monde. »

M. Khadir juge en revanche que La Presse est « très mal placée » pour mener une telle enquête.

« Elle sera soupçonnée de visées politiques particulières, tant qu'elle ne s'attaquera pas aussi à Power Corporation du Canada, qui fait exactement la même chose : plus de 300 filiales de ses nombreuses entités sont enregistrées, juste dans un paradis fiscal - le Delaware. »

«Beaucoup de bruit pour rien»

Le bureau de M. Péladeau n'avait pas commenté le cas de Quebecor World au moment d'écrire ces lignes.

« Ma réplique à Power Corporation du Canada s'en vient bientôt sur ma page Facebook », a-t-il annoncé sur son compte Twitter.

Sur les réseaux sociaux, ses députés se sont portés à sa défense.

«La une de @LP_LaPresse ce matin rappelle la comédie de Shakespeare: "Beaucoup de bruit pour rien"», a écrit le député Maka Kotto sur son compte Twitter.

Il a partagé une citation du spécialiste Pascal Saint-Amans, qui a déclaré à La Presse qu'il ne ferait «pas forcément une histoire» avec la stratégie fiscale de Quebecor World.

Son collègue Bernard Drainville a pour sa part réclamé que La Presse enquête sur les stratégies fiscales de Power Corporation du Canada, à qui le quotidien appartient.

«@LP_LaPresse: au nom de l'équilibre et impartialité journalistique, on attend impatiemment l'enquête sur stratégie fiscale de Power! #PolQc», a-t-il écrit sur Twitter.