Des procureurs de la Couronne craignent que les enquêtes de corruption fassent les frais du démantèlement et de la fusion des bureaux spécialisés de lutte contre le crime organisé annoncés il y a un mois.

Hier, La Presse a révélé qu'une demi-douzaine d'enquêtes menées par l'Unité permanente anticorruption (UPAC), dont au moins deux sur le financement des partis politiques, dorment depuis des mois sur les bureaux de la Couronne, en attente que des accusations soient portées.

Certains procureurs ont dit s'inquiéter de la «réingénierie» des bureaux spécialisés de lutte contre le crime organisé, de la disparition notamment du Bureau de lutte à la corruption et à la malversation (BLCM), de la transformation des procureurs en généralistes du crime organisé et d'une réduction appréhendée des effectifs.

«Je crains qu'il y ait de moins en moins d'enquêtes de corruption ou encore qu'elles se retrouvent en bas de la pile», nous a confié un procureur, sous le couvert de l'anonymat.

Le 23 septembre, la directrice des poursuites criminelles et pénales a annoncé la disparition du Bureau de lutte au crime organisé (BLACO), du Bureau de lutte aux produits de la criminalité (BLCP) et du Bureau de lutte à la corruption et à la malversation (BLCM), qui seront fusionnés dans un seul grand bureau «de la criminalité très organisée».

Québec et la directrice du DPCP, MAnnick Murphy, ont beau marteler que cette fusion ne se traduira pas par des diminutions d'effectifs, les procureurs ne le croient pas. L'incertitude qui plane sur le nom de leur futur directeur immédiat et la nature de leur mandat alimente davantage leurs inquiétudes.

On leur a dit que 80 % des dossiers de crime organisé se retrouveront dans les régions et ils se demandent de plus comment des procureurs, déjà débordés dans ces secteurs, pourront réussir à tout faire.

«Je n'ai aucun indice qu'il va y avoir une réduction de la lutte à la corruption et je n'ai pas de crainte en ce sens», nuance toutefois le président de l'Association des procureurs de la Couronne, MJean Campeau.

«Mais c'est sûr qu'il y a une inquiétude sur une réduction des effectifs. Il faut rester vigilant pour s'assurer qu'il n'y aura pas une perte nette de ressources au bout de tout ça. À partir du moment où il y aura une pression sur mes procureurs pour faire le même ouvrage avec le même nombre de procureurs, je vais réagir», a-t-il promis.

Débats houleux à l'Assemblée nationale

Par ailleurs, la nouvelle de La Presse voulant qu'une demi-douzaine d'enquêtes de corruption dorment sur les bureaux du DPCP a fait rugir les députés de l'opposition à l'Assemblée nationale hier.

«Pourquoi les accusations ne sont-elles pas déposées? Est-ce que c'est parce que cela vise le Parti libéral?», a demandé le leader parlementaire péquiste Bernard Drainville à la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée.

Celle-ci a répondu que les faits «allégués dans La Presse méritent une certaine préoccupation mais n'oublions pas que le Directeur des poursuites avait été créé en 2007 avec cette volonté d'éviter de politiser les accusations». Elle a ajouté que les députés pourront poser toutes les questions qu'ils souhaitent au commissaire de l'UPAC, Robert Lafrenière, qui viendra témoigner devant une commission parlementaire le 2 novembre prochain.

Sans commenter l'affaire davantage, ce dernier a rappelé «l'importance de la pleine collaboration entre les enquêteurs de l'UPAC et les procureurs de la Couronne», dans un communiqué diffusé hier soir.

«Plusieurs enquêtes sont présentement en cours et nous sommes confiants que les procureurs du DPCP dédiés à nos dossiers complexes sauront les mener à terme, avec toute l'indépendance que leur confère leur fonction», indique-t-on.

Pour le député de la CAQ Simon Jolin-Barrette, c'est MAnnick Murphy qui devrait expliquer les bavures de son institution en commission parlementaire. «Des coupures incohérentes dans la lutte au crime organisé, et maintenant la collaboration avec l'UPAC qui s'effrite, le bilan récent du DPCP est lourd», a dit le caquiste.

Dans un communiqué publié hier, MMurphy a déclaré au sujet de la nouvelle de La Presse «que le DPCP a été créé afin d'accentuer les garanties d'indépendance qui sont liées à la fonction de poursuivant public. Cette fonction nécessite qu'il soit à l'abri de toute pression politique, médiatique ou policière quant à son rôle de poursuivant, et ce, quel que soit le dossier concerné».

- Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron