Adil Charkaoui a recommandé au gouvernement Couillard d'abandonner son projet de loi sur les discours haineux, mardi soir, lors d'un passage houleux devant une commission parlementaire.

Le passage du coordonnateur du Collectif québécois contre l'islamophobie a visiblement causé un malaise à l'Assemblée nationale, où les élus poursuivaient leur étude du projet de loi 59.

Les députés libéraux, péquistes et caquistes ont limité au strict minimum leurs commentaires sur sa présentation. Quant à la députée de la Coalition avenir Québec, Nathalie Roy, elle a carrément refusé d'échanger avec lui.

«À mes yeux, aux yeux de la formation politique que je représente, vous ne représentez pas la communauté musulmane au Québec et vous n'avez aucune crédibilité», a asséné Mme Roy.

M. Charkaoui a rétorqué que la déclaration de la députée était «empreinte de haine» à son endroit. Il a accusé au passage le Parti québécois d'avoir «diabolisé» la communauté musulmane avec son projet de Charte de la laïcité.

Il a ensuite accusé le député libéral Guy Ouellet, qui présidait la commission parlementaire, de lui «couper la parole» lorsqu'il s'est interposé dans l'échange pour lui demander de respecter le décorum.

Plus tôt, lors d'un échange avec la députée du Parti québécois Agnès Maltais, M. Charkaoui a accusé les parlementaires de chercher à le museler, car aucun ne l'interrogeait sur sa position sur le projet de loi.

«On n'a pas besoin d'un projet de loi pour nous faire taire, pour nous faire taire gentiment, a lâché M. Charkaoui. C'est ce qui se passe aujourd'hui: pas de questions, pas d'échanges, ce qui veut dire que bien poliment, on nous fait taire.»

Islamophobie

M. Charkaoui a exprimé sa «déception» face au projet de loi du gouvernement Couillard. Car à ses yeux, il ne permet pas de combattre l'islamophobie.

Il craint par ailleurs que l'initiative n'entrave la liberté d'expression.

Les élus n'ont pas été convaincus par ses arguments. La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a souligné que plusieurs groupes sont la cible de discours haineux et d'appels à la violence.

«Ce projet de loi, bien qu'il puisse être bonifié par le travail des parlementaires, il appert être nécessaire», a dit la ministre.

La députée péquiste Agnès Maltais a estimé qu'il aurait été impossible d'avoir un échange serein avec M. Charkaoui. Elle souligne toutefois qu'il a eu l'occasion d'exprimer son point de vue.

«On ne voulait pas une confrontation, a expliqué Mme Maltais. On est là pour échanger sur le projet de loi. Il s'est bien exprimé, il a eu toute la place, et il avait toute la place pour exprimer son point de vue après coup.»

Le gouvernement Couillard a présenté le projet de loi 59 dans le cadre d'un vaste plan de lutte contre la radicalisation. S'il est adopté tel quel, la Commission des droits de la personne pourra mener des enquêtes si elle juge qu'un groupe ou une communauté est la cible de discours haineux. L'organisme pourrait infliger des amendes pouvant atteindre 20 000$ à une personne trouvée coupable.

Le nom d'Adil Charkaoui a fait surface à plusieurs reprises dans le débat sur la radicalisation, ces derniers mois.

Des cégépiens ayant quitté le Canada l'hiver dernier pour aller grossir les rangs de groupes djihadistes avaient fréquenté le Centre communautaire islamique de l'est de Montréal, que M. Charkaoui dirige.

Les Collèges de Maisonneuve et de Rosemont ont suspendu la location de locaux à son centre islamique dans la foulée de l'affaire.

Puis, en mai, il a été montré du doigt par le père d'une jeune femme arrêtée parce que les autorités craignaient qu'elle n'aille retrouver un groupe djihadiste. Selon lui, Adil Charkaoui et son centre islamique avaient «semé la haine» dans le coeur de sa fille.