En butte à des obstacles sociaux et environnementaux, TransCanada envisage de tirer un trait sur les retombées prévues de son projet au Québec et de prolonger directement son pipeline jusqu'à un terminal maritime déjà prévu, à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick.

Le gouvernement Couillard a été mis au fait des intentions de la société pétrolière dans ses échanges récents avec les autres provinces touchées par le projet Énergie Est, le Manitoba, l'Ontario et le Nouveau-Brunswick, a appris La Presse.

L'abandon du site de Cacouna est acquis. La solution de rechange n'a pas encore été arrêtée, mais dans les échanges entre le Québec et les autres provinces, le choix du Nouveau-Brunswick paraît de loin le plus plausible, a-t-on confié à La Presse. La décision devrait être annoncée début mars, plutôt qu'à la fin du trimestre, selon ces mêmes indications.

Dans la mesure où il n'y aurait aucune nouvelle infrastructure au Québec, TransCanada aura du fil à retordre pour faire avaliser par le gouvernement Couillard un tracé où le Québec ne serait qu'une simple voie de passage pour son pipeline. Une avenue plausible: TransCanada pourrait assurer qu'une partie du million de litres transportés chaque jour serve à abaisser les coûts d'approvisionnement des sociétés québécoises Valero et Suncor. En revanche, le choix du Nouveau-Brunswick rendrait bien théorique la promesse d'un siège social à Montréal. Québec pourrait alors songer à un système de redevances, comme la Colombie-Britannique l'a fait pour Northern Gateway.

Dans la foulée du reportage de La Presse, mercredi, TransCanada a refusé de confirmer qu'elle renonçait à bâtir un port pétrolier à Cacouna, alors que des écologistes somment l'entreprise de dévoiler clairement ses intentions. Parmi les autres endroits envisagés par TransCanada, on retrouve Baie-des-Sables, près de Matane. Mais ce site pose un grave problème: il faudrait draguer le fleuve, puisque des hauts fonds feraient obstacle aux très grands pétroliers, une facture de plusieurs dizaines de millions. À Lévis, autre site québécois envisagé, le maire Gilles Lehouillier a carrément fermé la porte, lors d'une rencontre avec les émissaires québécois de TransCanada, il y a deux semaines. Il est persuadé que le projet ne passerait pas auprès de ses concitoyens et que les retombées promises sont trop faibles.

Reste Bécancour, où se trouve un port aménagé en eau profonde. TransCanada n'a pas contacté la Ville ni le port, mais comme elle y est déjà présente, elle connaît les installations sur place, explique Maurice Richard, responsable du parc industriel et portuaire. Le port de Bécancour reçoit déjà d'énormes conteneurs de bauxite pour l'aluminerie. TransCanada y a déjà mis sur pied une usine d'un demi-milliard de dollars pour la cogénération. En outre, toute la région aurait bien besoin d'un coup de pouce après la fermeture de Gentilly-2. Le choix de Bécancour n'est pas sans conséquence, toutefois: il n'y aurait plus de pipeline sur la rive sud à l'est de Trois-Rivières et la Ville de Québec ne serait plus alimentée, comme elle l'est aux termes de la proposition originale de TransCanada.

Échéancier

TransCanada de nouveau démenti qu'elle avait pris une décision sur ce tronçon de l'oléoduc Énergie Est. Son porte-parole, Tim Duboyce, rappelle que l'entreprises'est donné jusqu'au 31 mars pour trancher. «Ce qu'on me décrit, c'est qu'il semble que ce soit très complexe, a-t-il convenu. Il y a des parties prenantes, des élus, les expéditeurs qui sont nos clients, des investisseurs. Il y a beaucoup d'éléments différents qui jouent là-dedans.»

À l'Assemblée nationale, hier, le ministre de l'Environnement, David Heurtel, a dit ne pas avoir «d'informations directes» selon lesquelles TransCanada aurait tiré un trait sur le port de Cacouna. Il a toutefois convenu que la désignation du béluga du Saint-Laurent comme « espèce en voie de disparition » aurait un impact sur la faisabilité du projet.

Des sources fiables ont confié à La Presse que TransCanada n'a pas répondu à la lettre que le ministre Heurtel lui a fait parvenir au nom du gouvernement du Québec, en novembre dernier.

Patrick Bonin, porte-parole de Greenpeace, accuse TransCanada de cacher ses intentions et la presse de se montrer plus transparente quant à ses intentions.

«Même si TransCanada refuse de l'avouer, son projet de port à Cacouna est mort et elle n'a pas de plan B, a affirmé M. Bonin. Elle semble en train de vouloir sauver la face devant ses actionnaires.»

La période d'inscription aux audiences de l'Office national de l'énergie est déjà commencée. Or, les personnes qui souhaitent prendre part à cette évaluation fédérale ne savent même pas à quoi ressemblera le projet, dénonce M. Bonin.

Le Parti québécois somme le gouvernement Couillard d'exiger la suspension des audiences de l'ONE. «Il nous manque des informations sur le tracé, sur l'impact environnemental, sur l'endroit où sera situé le fameux port et même s'il va y en avoir un au Québec, et les documents ne sont pas traduits en français. Ultimement, ça veut dire que l'ONÉ risque de prendre une décision sans qu'on ait toute l'information», affirme le député Sylvain Gaudreault.