En souhaitant la «coordination, la cohérence et la convergence de toutes les forces souverainistes» Pierre Karl Péladeau reprenait hier l'objectif de son mentor politique, Pauline Marois. L'ex-première ministre et son ancienne chef de cabinet Nicole Stafford voulaient imposer une tutelle au Bloc québécois pour assurer plus de cohésion au mouvement souverainiste.

Un stratège proche de ces discussions a expliqué à La Presse que Mme Marois et sa conseillère jugeaient que l'existence du Bloc québécois comme entité indépendante était une source constante d'agacement pour le chef du PQ. Ce dernier, en tant que véritable fiduciaire de l'option souverainiste, devrait pouvoir imposer ses vues au parti frère à Ottawa. «C'était leur conviction» et les orientations données par M. Péladeau hier «sont comme un écho de ces réflexions», confie-t-on. Des modifications à la constitution du Bloc auraient été nécessaires, rappelle-t-on. Mme Marois est déjà intervenue auprès de candidats, Jean-François Lisée notamment, pour les convaincre de ne pas s'opposer à Pierre Karl Péladeau, vu «comme la seule chance du PQ». Mme Stafford a fait la même chose auprès de militants qui souhaitent appuyer d'autres candidats que le baron de la presse.

Volte-face

Le Bloc québécois a toujours sa pertinence à Ottawa, a déclaré le député péquiste Pierre Karl Péladeau, mardi, quelques jours après avoir déclaré à des militants que la formation fédérale n'a servi qu'à justifier le fédéralisme.

Lors d'une rencontre tenue vendredi dernier, le candidat probable à la direction du Parti québécois a dit avoir « toujours eu un problème » avec formation souverainiste fédérale.

« Le Bloc ne sert strictement à rien, sauf à justifier le fédéralisme », a-t-il déclaré.

À son arrivée à l'Assemblée nationale, mardi, le député de Saint-Jérôme n'a pas nié avoir tenu ces propos. Il a cependant affirmé qu'à ses yeux, le Bloc est « tout à fait pertinent ».

« C'était une interrogation, a-t-il déclaré. Nous avons le droit de nous interroger. Parce que la question, aussi, c'est de déterminer si on combat le fédéralisme ou si on travaille avec le fédéralisme. Alors les forces souverainistes doivent se mettre toutes ensemble pour le combattre. »

S'il confirme sa candidature et s'il est élu à la tête du PQ, M. Péladeau promet d'oeuvrer dans l'«esprit de coordination, de cohérence, de convergence de toutes les forces souverainistes». Il a par ailleurs souligné l'apport de Lucien Bouchard, Daniel Paillé et Gilles Duceppe, qui ont tous dirigé le Bloc.

Les candidats réagissent

Les commentaires de M. Péladeau ont fait réagir ses adversaires probables dans la course à la direction du PQ.

Bernard Drainville s'est porté à la défense du Bloc québécois, le présentant comme le seul parti fédéral qui appuie la Charte de la laïcité, qui combat la réforme de l'assurance-emploi et qui s'oppose à la construction du pipeline Énergie Est.

« Sur tous ces dossiers, on a besoin du Bloc, a déclaré M. Drainville mardi matin. On a besoin d'une voix qui parle en notre nom. Et en particulier les indépendantistes, on a besoin d'une voix. » 

Martine Ouellet a aussi exprimé son désaccord.

« Je ne partage pas du tout son opinion, a-t-elle indiqué. C'est le seul parti qui peut défendre les intérêts du Québec et je pense que c'est important. »

Le député de Rosemont, Jean-François Lisée, estime que le débat sur la pertinence du Bloc québécois est « légitime ». Mais à ses yeux, la présence du parti à Ottawa est « essentielle ».

« Ce n'est pas le Parti libéral du Canada, le Parti conservateur, et le Nouveau Parti démocratique qui défendent les intérêts du Québec à Ottawa, c'est le Bloc québécois, a-t-il dit. On s'en est rendu compte depuis que le nombre de députés (bloquistes) a été réduit, la voix du Québec n'est pas entendue à Ottawa comme elle l'était avant. »

Alexandre Cloutier s'est pour sa part dit heureux que M. Péladeau ait corrigé le tir. Il souhaite que les partisans du Bloc, de Québec solidaire et d'Option nationale définissent les contours d'un éventuel Québec indépendant afin que les souverainistes puissent proposer une vision claire aux électeurs.

« Ce qu'on doit éviter, c'est la division entre nous, les mouvements parallèles. Il faut que les souverainistes se rassemblent, s'additionnent, pour que nous nous présentions devant les Québécois comme un mouvement uni. »

Le chef par intérim du PQ, Stéphane Bédard, estime que le Bloc effectue un « travail formidable » à Ottawa.

« On va travailler avec le Bloc, a-t-il dit. C'est un parti frère avec lequel on a maintenu des liens. On partage beaucoup de membres, beaucoup de gens qui ont les mêmes idéaux. Donc on va rester côte à côte avec eux. »

La volte-face de M. Péladeau est survenue après une série de commentaires de ses collègues du caucus péquiste, tous favorable au maintien du Bloc québécois à Ottawa.

Pour Guy Leclerc député de Beauharnois, «tous les souverainistes sont les bienvenus. Pierre Karl sait ce qu'il a à faire, mais mon opinion est qu'on ne doit pas repousser les souverainistes. On est dans une course à la chefferie actuellement on demande aux gens de s'impliquer... de prendre des cartes de membre».

Pour Diane Lamarre élue dans Taillon, le Bloc a toujours sa place à Ottawa. « On en a besoin pour faire valoir nos idées comme Québécois !» a-t-elle lancé.

Véronique Hivon, sa collègue de Joliette est du même avis. «Le Bloc est utile, c'est certain, mais il doivent leurs discussions entre eux, on a beaucoup de choses à s'occuper pour l'avenir. Appuyer le Bloc est la position habituelle du Parti québécois» a-t-elle relevé.

« On a besoin de toutes les voix, on pourra voir en cours de route jusqu'où on en a besoin», observe Diane Lamarre, de Taillon. «On verra avec les élections comment ça se positionnent. Ce que j'entends des gens du Bloc est qu'ils représentent des valeurs qui sont celles du Québec, des Québécois, ce qu'on a pas nécessairement d'autres personnes au gouvernement fédéral» observe Mme Lamarre. 

Ex-député bloquiste, Maka Kotto a pour sa part rappelé que la question de la légitimité du Bloc est fréquemment soulevée par les citoyens. «C'est une question de perspective», insiste-t-il, soulignant que «si je suis au Québec aujourd'hui c'est que la cause de l'indépendance me préoccupe davantage que la défense des intérêts à Ottawa». 

Si le Bloc disparaissait, «cela appartient aux électeurs, observe M. Kotto. En 2011, beaucoup de souverainistes sont sortis pour appuyer Jack Layton. Le Bloc est-il utile ? «L'histoire le dira, M. Beaulieu est devenu chef, on verra le maçon au pied de son mur !».

Beaulieu «heureux» de la volte-face

Le chef du Bloc québécois, Mario Beaulieu, s'est dit «bien heureux» de la volte-face de Pierre Karl Péladeau au sujet de la pertinence de son parti. Mario Beaulieu a affirmé avoir téléphoné à M. Péladeau au cours de la fin de semaine pour lui souligner l'importance du Bloc à Ottawa.  

«J'ai pu lui rappeler pourquoi je considère que le Bloc québécois à un rôle non seulement pertinent, mais indispensable pour la promotion de l'indépendance», a indiqué Mario Beaulieu cet après-midi lors d'un point de presse convoqué à ce sujet. Mario Beaulieu pense même «pouvoir faire équipe» avec le député de Saint-Jérôme pour qu'ils travaillent «ensemble» à convaincre les Québécois d'accéder à l'indépendance. 

M. Beaulieu n'a toutefois pas voulu blâmer le candidat probable à la direction du Parti québécois pour ses propos tenus vendredi dernier lors d'une rencontre. «Tout le monde peut réfléchir et je suis bien heureux de la conclusion.»

Mario Beaulieu a rappelé que son parti a été remis en question «des dizaines de fois» depuis sa fondation. «À chaque fois, on a pu faire la démonstration que c'est le Bloc québécois qui est le seul parti à défendre les intérêts du Québec», a dit le leader souverainiste. 

« Une erreur », dit Duceppe

Pour l'ancien chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, Pierre-Karl Péladeau a commis «une erreur» en présumant de l'inutilité du parti souverainiste à Ottawa.

«Quand on fait une erreur on la corrige, on reconnaît qu'on s'est trompé. On doit faire une analyse plus à fond» a-t-il ajouté, sans vouloir préciser à quelle rétractation il s'attendait.

«S'il avait raison, il devrait nous dire pour qui il faut voter à Ottawa !».

Les exemples sont nombreux où l'intervention du Bloc aux Communes a défendu les intérêts du Québec, note l'ancien chef. Sur le déséquilibre fiscal, le gouvernement de Paul Martin n'aurait jamais cédé sans les pressions du Bloc québécois. Sur les commandites, le «le NPD disait il ne faut pas salir le gouvernement on va faire le jeu des souverainistes», observe M. Duceppe.

La campagne souverainiste du référendum de 1995 a grandement bénéficié de la présence de 53 députés bloquistes à Ottawa, ce n'était pas le cas en 1980, «il y a toute une différence en terme politique, en terme d'organisation». Lucien Bouchard qui voyait le Bloc comme une organisation éphémère avait changé d'avis par la suite.

«Même Jean Charest, sur certains dossiers nous appelait pour qu'on avance les dossiers du Québec quand il y avait une position unanime de l'Assemblée nationale» souligne M. Duceppe.

Même le parti souverainiste écossais pense à pousser pour l'élection de députés souverainistes aux Communes de Londres, observe-t-il.

Les adversaires du PQ se sont régalés du débat déclenché par les commentaires de M. Péladeau.

« On a une autre chicane au sein de la famille péquiste », a ironisé le ministre des Affaires municipales, Pierre Moreau.

Pour le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, il n'est «pas question de me mêler de leurs chicanes entre péquistes».

Pour Amir Khadir de Québec Solidaire, le débat soulevé par M. Péladeau «est triste pour le mouvement souverainiste, les gens ont droit de choisir qui les représentera le mieux leurs intérêts à Ottawa, on a besoin d'un bon équilibre entre le Bloc et le NPD. Je suis un supporter du Bloc, il y a une place pour ce parti à Ottawa et j'espère que les péquistes vont mettre ce débat de côté pour s'occuper de choses plus importantes comme le magouillage politique de TransCanada pour faire approuver son pipe-line. »