Pour explorer le pétrole à Anticosti, Québec s'est associé avec un partenaire français au passé ombrageux.

Jean-François Hénin, dirigeant de Maurel & Prom, a dû payer en 2006 une amende d'un million de dollars à cause de l'affaire Executive Life. On l'a aussi interdit pendant cinq ans sur le territoire américain. Il avait plaidé coupable, ce qui lui a permis d'obtenir un procès sans jury et une peine plus clémente.

L'histoire remonte aux années 90. La Réserve fédérale américaine l'a accusé d'avoir à cette époque menti dans le montage financier servant à acheter la société d'assurance Executive Life. Le rachat était fait par une filiale du Crédit Lyonnais que dirigeait M. Hénin. Le processus était «entaché de fraude», rapporte L'Express.  

En décembre 2008, selon ce que rapporte Le Parisien, l'Autorité des marchés financiers de France lui a aussi chargé une amende de 300 000 dollars pour avoir diffusé de fausses informations sur Maurel & Prom (M&P). 

Cette société pétrolière opère aujourd'hui surtout en Afrique et en Amérique latine. 

La première ministre Pauline Marois annonçait jeudi qu'elle créait une coentreprise avec Pétrolia, Corridor Ressources et M&P pour explorer le pétrole à Anticosti. M. Hénin n'était pas présent lors de l'annonce faite en grande pompe à Montréal.

Québec injecte 70 des 100 millions de la nouvelle coentreprise, via une division d'Investissement Québec. M&P paiera 43 millions et aura 21,7% des parts. Trois forages exploratoires sont prévus cet été pour vérifier le potentiel pétrolier encore inconnu. 

Investissement Québec assure avoir fait «les vérifications qui s'imposaient». «Le dossier est conforme. L'entreprise n'a pas été reconnue coupable d'infractions criminelles, pénales ou responsabilité civile dans les cinq dernières années», dit Chantal Corbeil, porte-parole de la société d'État.

M&P est une société pétrolière de «taille moyenne», dit Investissement Québec. Elle «souhaite développer une expertise spécialisée» dans le pétrole de schiste. 

Le Parti libéral (PLQ) s'inquiète de voir le gouvernement péquiste s'associer «avec une firme dont la couverture de presse n'a pas été très élogieuse» et qui «fait affaire dans des marchés marginaux où la démocratie est chancelante», dit leur porte-parole Charles Robert.

Les pétrolières plus importantes n'ont pas manifesté leur intérêt pour cette aventure, rappellent les libéraux. D'ailleurs, Québec cherche encore un partenaire pour compléter l'autre coentreprise lancée jeudi avec la junior québécoise Junex. Le chef libéral Philippe Couillard craint que l'aventure soit trop risquée. Et que Mme Marois ait «conclu à la va-vite» une entente à des fins électorales. «Le rendement électoral a été préféré au rendement financier», dénonce-t-il. 

La Coalition avenir Québec a quant à elle salué ce modèle de coentreprise, qu'elle proposait depuis plusieurs mois. 

Mais d'autres sont moins optimistes. Marc Durand, ingénieur en géologie appliquée et professeur de l'UQÀM à la retraite, calcule qu'il faudrait forer de 10 000 à 12 000 puits pour exploiter le pétrole de schiste d'Anticosti, emprisonnée dans la roche-mère. Dans la formation Utica aux États-Unis, un tel forage coûte environ 11 millions. Et on n'extrait que 2% de la ressource, soit beaucoup moins que le 5% espéré par Pétrolia. Résultat: les dépenses pourraient s'élever à 120 milliards, pour des revenus de moins de 80 milliards (avec l'hypothèse d'un baril de pétrole qui coûte 100 dollars). «Même avec les revenus dont on rêve, ce serait déficitaire. Je comprends pourquoi peu de pétrolières ont manifesté un intérêt.» 

M. Durand en déduit que le modèle des libéraux, dans lequel l'État laisse le privé courir les risques au début de l'exploration et empoche de l'argent avec les redevances et les recettes fiscales, est «plus prudent». «On joue à la loto actuellement», ajoute-t-il.  

Québec n'a pas encore déposé son projet de loi ni défini son futur régime de redevance sur les hydrocarbures. On souhaite le faire d'ici l'été. Un objectif qui pourrait être compliqué par le déclenchement attendu des élections. Le ministre de l'Environnement, Yves-François Blanchet, rappelle toutefois qu'il existe déjà une réglementation en place pour encadrer les forages. Il dénonce ceux qui s'opposent a priori à l'exploration. «On ne peut pas conclure que ce n'est pas rentable avant d'avoir vérifié le potentiel! On doit aller voir.» 

L'étude environnementale se fera après l'exploration. «L'exploration permettra d'avoir plus de connaissances scientifiques pour bien réaliser l'étude, soutient-il.  Et comme partenaire, on sera bien placé pour faire le suivi.»

- Avec Annabelle Blais