La ministre Jody-Wilson Raybould plaide qu'elle est tenue au silence dans l'affaire SNC-Lavalin.

« En tant qu'ancienne ministre de la Justice et procureure générale du Canada, je suis liée par le secret professionnel dans cette affaire », a-t-elle indiqué dans une déclaration transmise vendredi par son bureau.

Cette mise au point d'une phrase survient au lendemain de la publication, dans le Globe and Mail, d'informations voulant que le bureau de Justin Trudeau aurait exercé des pressions sur la ministre afin qu'elle intervienne pour aider SNC-Lavalin.

Le quotidien écrit qu'on aurait tenté de convaincre Mme Wilson-Raybould de demander au Service des poursuites pénales du Canada de conclure un accord de poursuite suspendue avec la firme afin de lui éviter un procès - une requête à laquelle elle aurait refusé d'accéder.

Selon l'avocat Benjamin Perrin, ce que l'ex-procureure générale soutient dans sa brève déclaration est exact, mais elle pourrait parler si le client accepte de renoncer au secret professionnel - et dans ce cas, le client est le gouvernement du Canada.

« Celui qui est à la tête du gouvernement est le premier ministre. Alors le premier ministre Trudeau aurait le pouvoir de lever le secret entre l'avocat et le client pour permettre à Jody Wilson-Raybould de s'exprimer publiquement sur ce qui s'est passé », a-t-il expliqué.

« C'est lui qui est en position de prendre la décision. Alors la balle est dans son camp. [...] S'il veut renoncer au secret, il peut le faire », a ajouté en entrevue téléphonique celui qui a été avocat de l'ancien premier ministre Stephen Harper.

Le bureau du premier ministre Justin Trudeau n'avait pas répondu aux questions de La Presse canadienne au sujet de la levée du secret professionnel au moment de publier ces lignes, vendredi après-midi.

En revanche, on a signalé qu'en décembre dernier, Mme Wilson-Raybould avait soulevé le cas de SNC-Lavalin auprès de Gerald Butts, secrétaire principal du premier ministre « dans le cadre d'une discussion sur différents sujets ».

Et « la réponse de M. Butts a été de la référer au greffier du Conseil privé », a-t-on précisé.

Au bureau de la ministre Wilson-Raybould, qui est depuis janvier dernier titulaire du portefeuille des Anciens Combattants, on a référé les questions de La Presse canadienne au ministère de la Justice. Le service des relations médias n'y avait pas donné suite, vendredi après-midi.

« Anguille sous roche »

Les révélations du Globe and Mail ont eu l'effet d'une bombe sur la colline du Parlement à Ottawa, si bien que la Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique (NPD) ont fait front commun pour réclamer que lumière soit faite.

L'opposition réclame une réunion d'urgence du comité permanent de la justice et des droits de la personne, afin d'entendre les témoignages de neuf hauts responsables gouvernementaux, vu les « reportages troublants sur l'ingérence politique du cabinet du premier ministre ».

Parmi ces personnes figurent l'ex-ministre de la Justice, son successeur, David Lametti, ainsi que des membres de la garde rapprochée de Justin Trudeau, dont son secrétaire principal, Gerald Butts, et sa chef de cabinet, Katie Telford.

« Si le premier ministre n'a rien à cacher, comme il l'a suggéré, il ne devrait avoir aucune raison de craindre que ces personnes comparaissent devant le comité », a lancé le chef conservateur, Andrew Scheer, en point de presse.

Et si les députés libéraux, majoritaires au comité, votent contre la motion visant à convoquer les personnes visées et « tentent de cacher ce qui est arrivé », les Canadiens ne pourront « que conclure que les reportages sur une ingérence politique sont vrais », a-t-il enchaîné.

À cette requête, le NPD ajoute celle de l'ouverture d'une enquête du commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique. Car on juge que le premier ministre et sa garde rapprochée ont violé l'article 7 de la Loi sur les conflits d'intérêts, qui touche le traitement de faveur.

« Nous, on est convaincus qu'il y a anguille sous roche », a résumé en point de presse le député Alexandre Boulerice, vendredi, au sortir d'une période des questions qui a de nouveau été dominée par l'affaire SNC-Lavalin.

Congédiée pour insubordination ?

À plusieurs reprises, les députés de l'opposition ont établi un lien entre le présumé refus de Jody Wilson-Raybould d'intervenir et son « congédiement ». La ministre, rappelons-le, a été mutée en janvier dernier, héritant du portefeuille des Anciens Combattants.

Cette rétrogradation avait causé une certaine surprise. Et le jour du remaniement ministériel, la Britanno-Colombienne, une ancienne procureure de la Couronne, avait publié une déclaration pour défendre son bilan - une démarche hautement inhabituelle.

« Le rôle du procureur général du Canada vient avec des responsabilités uniques en matière de respect de la primauté du droit. [...] C'est un pilier de notre démocratie que notre système de justice doit être à l'abri de toute perception d'ingérence politique [...] », a-t-elle écrit.

« Il a donc toujours été clair pour moi que le procureur général du Canada doit [...] toujours être prêt à dire la vérité aux personnes en position de pouvoir », a aussi fait valoir Mme Wilson-Raybould dans cette entrée publiée sur son site web de députée.

C'est ce dernier extrait, celui qui porte sur la nécessité de se tenir debout face aux personnes qui détiennent le pouvoir, que les députés de l'opposition brandissent depuis jeudi en quelque sorte comme un élément de preuve d'un congédiement pour insubordination.

Vers la fin de la période de questions, vendredi, le député Arif Virani s'est offusqué que l'on présente les choses de cette manière.

« J'ai été patient, mais les députés d'en face ont dit au moins une demi-douzaine de fois que l'ancienne ministre a été congédiée dans un contexte où elle a accepté l'honneur de servir les anciens combattants du Canada », s'est-il indigné.

« On parle des hommes et des femmes qui se sont battus pour ce pays, et qui l'ont servi avec tant de bravoure, alors il est inapproprié de faire ce genre de déclaration en Chambre », a ajouté celui qui est secrétaire parlementaire du ministre de la Justice.

Des « allégations »

Le premier ministre Trudeau n'était pas à Ottawa, vendredi. Mais la veille, en marge d'une annonce en Ontario, il a nié que lui ou son bureau avait « demandé au procureur général actuel ou antérieur de prendre quelque décision que ce soit dans cet enjeu ».

Il a martelé que « les allégations » dans le reportage du Globe and Mail étaient « fausses », sans préciser davantage sa pensée ou déroger de la réponse qui avait été préparée à l'avance en vue de cette rencontre avec les journalistes.

La firme SNC-Lavalin est accusée de fraude et de corruption par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Selon la police fédérale, elle aurait notamment versé 47,7 millions entre 2001 et 2011 à des titulaires de charges publiques en Libye dans le but de les influencer.

Les accusations ont été déposées en 2015, et la société québécoise s'est ensuite mise à faire du lobbying auprès d'Ottawa afin que le gouvernement fédéral se dote d'un régime d'accords de poursuite suspendue, ce qui fut fait.

Les accords de poursuite suspendue permettent de suspendre des poursuites pénales contre des entreprises. En échange, celles-ci admettent les faits, puis acceptent de « payer une pénalité financière importante et coopérer avec les autorités », selon un site gouvernemental.