Les agents frontaliers estiment qu'il manquera au moins 500 officiers sur le terrain pour accueillir la vague de demandeurs d'asile salvadoriens attendue au Canada d'ici septembre prochain, alors que 200 000 ressortissants de ce pays verront leur statut spécial résilié aux États-Unis.

«On espère que le gouvernement, un moment donné, va réagir, mais il faut qu'il réagisse vite», a lancé à La Presse Jean-Pierre Fortin, président national du Syndicat des douanes et de l'immigration (SDI).

Washington a accordé en 2001 un statut de protection temporaire (SPT) à près de 200 000 Salvadoriens frappés par un tremblement de terre dévastateur. Ce statut, qui leur a permis de rester aux États-Unis et même de s'y enraciner grâce à plusieurs prolongations, prendra fin de façon définitive en septembre 2019.

Les Salvadoriens qui seront incapables de régulariser leur situation d'ici là seront expulsés, a annoncé l'administration Trump au début de l'année. Un ultimatum qui fait craindre un mouvement de masse vers le Canada par des points d'entrée irréguliers comme le chemin Roxham, au sud de Montréal.

«S'il n'y a pas d'extension du statut de protection, les gens du Salvador vont être confrontés à deux choix : retourner dans leur pays d'origine ou tenter leur chance au Canada». explique M. Fortin.

«Les probabilités sont élevées qu'ils tentent de faire comme des gens d'autres communautés avant eux, par exemple les Haïtiens et les Nigérians.»

«Aucun signal»

Tout en affirmant ne pas vouloir être «alarmiste», M. Fortin souligne n'avoir reçu «aucun signal» que l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) comptait faire de nouvelles embauches. Or, les 6500 agents représentés par son syndicat sont déjà fort sollicités, soutient-il, si bien qu'un afflux de réfugiés salvadoriens pourrait s'avérer «vraiment problématique».

Le président du SDI estime entre 500 et 600 le nombre d'agents supplémentaires nécessaires. «Pour avoir des agents prêts pour l'été prochain, il faudrait qu'ils soient embauchés maintenant», a-t-il plaidé.

De 10 000 à 20 000 demandeurs?

Les Salvadoriens menacés d'expulsion par Washington sont déjà nombreux à regarder au nord de la frontière, confirme Eusebio Garcia, secrétaire de l'Association salvadorienne-canadienne, établie à Toronto. Il reçoit chaque semaine des appels de Salvadoriens en quête d'informations sur la marche à suivre.

Selon une analyse réalisée par son organisation, entre 5% et 10% des 200 000 Salvadoriens menacés d'expulsion aux États-Unis pourraient tenter de venir au Canada - l'équivalent de 10 000 à 20 000 demandeurs d'asile.

«Faites les calculs, c'est beaucoup, beaucoup de gens.»

M. Garcia se dit déçu par la gestion du dossier salvadorien par le gouvernement Trudeau. «Je ne crois pas qu'ils en font assez et qu'ils sont vraiment conscients de ce qui se passe, a-t-il dénoncé. D'ici à ce qu'ils voient des caravanes arriver ici, comme celles qui traversent en ce moment du Honduras vers le Mexique à destination des États-Unis, ils ne vont pas porter attention.»

Ottawa est prêt, dit Blair

Pendant une brève entrevue accordée à La Presse hier, le ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé, Bill Blair, a au contraire affirmé qu'Ottawa était prêt à «toutes les éventualités».

«Je connais le nombre [de Salvadoriens] qui sont aux États-Unis, je ne crois pas que tous ces gens seraient intéressés à chercher l'asile au Canada, a-t-il indiqué. Nous nous assurons d'avoir la capacité d'accueillir ceux qui pourraient choisir de demander le statut de réfugié ici, mais nous voulons qu'ils comprennent clairement qu'il y a des règles ici, que nos lois sont appliquées et que nos standards sont maintenus.»

M. Blair dit «comprendre les inquiétudes» des agents de l'ASFC, qui craignent d'être débordés l'été prochain. Il rappelle toutefois que l'Agence s'est vu accorder une enveloppe supplémentaire de 72 millions sur deux ans dans le dernier budget fédéral «pour répondre à certaines de ces inquiétudes». Les sommes destinées à «gérer la migration irrégulière» totaliseront 173 millions au cours des deux prochaines années.

Un porte-parole de l'ASFC n'a pas précisé si l'Agence comptait augmenter ses effectifs aux frontières ni combien elle pourrait allouer à des embauches réclamées par le syndicat. Dans un courriel à La Presse, il a indiqué que l'ASFC «ajuste continuellement les niveaux de ressources opérationnelles et de dotation afin d'exécuter son mandat» et «s'assure de pouvoir compter sur un flux ininterrompu d'employés adéquatement formés».

Effort sur le terrain

Ottawa a par ailleurs dépêché plusieurs ministres pour parler directement aux communautés dont les ressortissants pourraient être tentés de traverser au Canada en contournant les processus habituels. L'objectif était d'éviter une répétition de la crise de 2017, lorsque des milliers d'Haïtiens installés aux États-Unis grâce à un SPT ont afflué au Canada après que Washington eut annoncé un réexamen du programme.

Pablo Rodriguez, aujourd'hui ministre du Patrimoine canadien, a effectué une demi-douzaine de voyages aux États-Unis dans la dernière année pour s'adresser en espagnol aux communautés latino-américaines, et particulièrement salvadoriennes, installées là-bas.

«Je pense que cet effort pratique a contribué à sensibiliser ces personnes, a avancé M. Rodriguez à La Presse. Mon message était très clair : il y a des lois, il y a un système d'immigration, et il doit être respecté. Je leur expliquais : voici comment faire pour venir selon les règles, et voici quoi ne pas faire.»

Selon le ministre Bill Blair, la baisse du nombre de demandeurs d'asile depuis plusieurs semaines démontre l'efficacité des différentes mesures mises en place par Ottawa.

NOMBRE DE DEMANDEURS D'ASILE*

(Janvier à septembre 2018)

40 645 au Canada, dont 21 010 sont passés par le Québec.

*Nombre total de demandeurs d'asile traités par l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC)