Le gouvernement de Justin Trudeau a déposé jeudi son projet de réforme du système judiciaire canadien, qui modifie, notamment, le processus de sélection des jurés. Mais pas un mot dans cette réforme sur les peines minimales obligatoires.

«Cette législation répond à l'arrêt Jordan de la Cour suprême, mais rendra également notre système judiciaire plus juste et plus efficace», a résumé la ministre fédérale la Justice, Jody Wilson-Raybould, en conférence de presse.

Plusieurs Autochtones avaient été exclus lors de la sélection des jurés au procès de l'agriculteur de la Saskatchewan accusé d'avoir tué par balle un Autochtone de 22 ans, Colten Boushie. Gerald Stanley a finalement été acquitté le mois dernier, et les proches de la victime avaient notamment demandé au gouvernement fédéral de revoir le processus de sélection des jurés.

La ministre Wilson-Raybould avait déjà sur sa table de travail l'arrêt Jordan auquel elle devait répondre.

Ce jugement de la Cour suprême rendu en juillet 2016 a fixé des limites strictes au temps qui peut s'écouler entre l'accusation et le procès criminel, soit 18 mois en Cour provinciale et 30 mois en Cour supérieure. Plus de 200 causes criminelles ont ainsi été abandonnées au pays à cause de délais jugés déraisonnables. Parmi ces causes, on note celle au Québec de Sivaloganathan Thanabalasingham, accusé du meurtre de son épouse.

Jeudi après-midi, la ministre a donc déposé le volumineux projet de loi C-75, qui répond à ces deux situations et plus encore.

Il abolit les récusations péremptoires qui permettaient à la Couronne et à la défense d'écarter certains jurés sans motifs, comme cela s'est produit dans l'affaire Colten Boushie. Les cas de récusations péremptoires avec motifs seraient tranchés par le juge du procès.

Pour réduire les retards dans le système judiciaire, on veut restreindre le recours à l'enquête préliminaire. Seules les infractions passibles de l'emprisonnement à perpétuité y auraient accès. Et ces enquêtes pourraient appeler un nombre limité de témoins.

Le projet de loi revoit aussi les amendes compensatoires et définit les conditions d'exemption de ces amendes. Cette mesure répond aussi à des jugements des tribunaux. Un contrevenant pour qui le paiement de cette amende «causerait un préjudice injustifié» pourrait ainsi en être exempté.

C-75 prévoit également augmenter la peine d'emprisonnement maximale pour les récidives de violence contre un partenaire intime et considérer cette violence dans pareille relation intime comme une circonstance aggravante à prendre en considération lors de la détermination de la peine.

Mais dans les 300 pages de texte législatif, on ne retrouve rien sur la réforme des peines, pourtant promise par les libéraux en campagne électorale en 2015 alors que plusieurs juges invalidaient les unes après les autres les peines minimales obligatoires imposées par le gouvernement conservateur.

«C'est une zone incroyablement complexe», a justifié la ministre Wilson Raybould en point de presse après le dépôt de C-75. La ministre a souligné que certains tribunaux ont maintenu certaines peines minimales obligatoires. Elle a cependant promis de continuer à travailler sur une réforme des peines.

«Nous on trouve que s'il y avait vraiment une volonté du gouvernement, ils pourraient avancer ce dossier-là, a dit le député néo-démocrate Peter Julian. Ils ont promis en 2015 de justement s'attaquer à ça.»

Les conservateurs sont soulagés de voir que les peines minimales instaurées par le gouvernement Harper sont maintenues, mais ils veulent s'assurer que les victimes de crimes ne sont pas oubliées dans le projet de loi.

«Notre grande question, et c'est là qu'on veut voir plus les détails, c'est: est-ce que les victimes vont encore souffrir d'un allégement de peine ou de façon de faire pour les criminels?», a signalé le député Pierre Paul-Hus.

La ministre québécoise de la Justice, Stéphanie Vallée, croit que son homologue fédérale aurait pu poser des gestes administratifs beaucoup plus tôt pour répondre à l'arrêt Jordan et «donner plus d'oxygène» au système judiciaire.

«Il y a des mesures réelles dans le projet de loi, mais elles arrivent presque deux ans plus tard, s'est-elle exclamée en rappelant la crise des délais judiciaires de l'automne 2016. (...) Le gouvernement fédéral n'a toujours pas nommé les juges pour les six postes créés en décembre 2016 et le budget fédéral ne prévoit absolument rien pour le Québec.»

Proxénétisme

Et puis, ce projet de loi reprend, une fois de plus, deux mesures de la loi pilotée par l'ex-députée Maria Mourani qui devait lutter contre la traite des personnes. Ce sera la troisième tentative d'aller de l'avant avec cette mesure législative qui n'est jamais entrée en vigueur.

Mercredi, des groupes qui viennent en aide aux victimes du proxénétisme appelaient, une fois de plus, le gouvernement Trudeau à signer un décret pour que la loi Mourani s'applique ou, au moins, à adopter rapidement un projet de loi qui dort au feuilleton depuis plus d'un an et qui reprend certaines de ces mesures. C-75 remet une fois de plus cet ouvrage sur le métier.

«C'est une occasion, étant donné la nature du projet de loi (C-75) de faciliter les choses dans un Parlement qui a un temps limité», a expliqué la ministre.

«On en est au troisième essai de quelque chose qui était urgent en 2013», s'est désolé, jeudi à sa sortie des Communes, Rhéal Fortin, député du Groupe parlementaire québécois qui, la veille, avait joint sa voix à celles de ces groupes.