Les photos de la famille Trudeau en Inde ont fait le tour du monde et amusé de nombreux internautes. Leurs tenues vestimentaires traditionnelles, et flamboyantes, attirent l'oeil : cela va des kurtas, ces longues chemises colorées portées par toute la famille lors de la visite de la résidence de Gandhi, au manteau sherwani, nettement plus élaboré, qui a fait sourciller certains observateurs.

« Pour votre information, nous, les Indiens, ne nous habillons pas comme ça tous les jours, pas même à Bollywood », a signalé sur Twitter le politicien Omar Abdullah, ancien chef du gouvernement du Jammu-et-Cachemire. 

Les politiciens en visite à l'étranger doivent-ils observer un code vestimentaire diplomatique ?

« La règle est simple : il faut respecter les us et coutumes du pays visité », tranche le diplomate de carrière Jean-Paul Hubert, qui a notamment été ambassadeur du Canada au Sénégal, en Belgique et en Argentine. « Quand on visite un temple sikh, il faut se couvrir la tête. Tout le monde le fait. Je l'ai fait aussi lorsque j'y suis allé en vacances », relate Jean-Paul Hubert.

Le diplomate à la retraite rappelle que le premier ministre Harper avait porté également un couvre-chef lorsqu'il était allé en Inde, mais pas le costume traditionnel complet.

« Il n'y a pas de règles écrites », confirme Claude Laverdure, qui a été ambassadeur du Canada en Haïti et au Congo, notamment. 

« C'est laissé à la discrétion des chefs d'État et de leurs conseillers. C'est donc plus une question d'attitude et de style », dit Claude Laverdure.

Claude Laverdure, qui a travaillé aux côtés de Jean Chrétien, avoue qu'il a parfois eu des discussions avec des politiciens sur ce sujet : si on opte pour l'habit local, cela va-t-il plaire au pays hôte ou le choquer ?

Si la question se pose, peu choisissent l'option « habit traditionnel ». 

« Le protocole recommande généralement la tenue de ville pour les visites officielles. Ce sont des règles mondiales et tout le monde y souscrit », explique Michel Gagné, ancien chef du Protocole du gouvernement du Québec. En fait, explique M. Gagné, on voit plus souvent des dignitaires étrangers en visite qui portent l'habit traditionnel, mais le leur, plutôt qu'un homme d'État qui vêt spontanément des habits du pays qui l'accueille. 

Il arrive aussi qu'un politicien reçoive un cadeau lors d'un voyage. « Si le maire de Québec fait une visite officielle à Calgary, il est peu probable qu'il parte avec un chapeau de cowboy, donne en exemple Michel Gagné. Par contre, s'il en reçoit un en cadeau, il pourra le porter le temps d'une photo. »

UN VOYAGE HYBRIDE 

Le voyage de la famille Trudeau en Inde a ceci de particulier : il combine des moments en famille et des rencontres officielles. 

« Ce qui est particulier, c'est qu'on le voit sur des photos habillé en Indien avec des Indiens habillés en habit de ville », dit l'ancien chef du Protocole du gouvernement du Québec.

C'est ce qui est arrivé lorsque le premier ministre, son épouse et leurs deux aînés ont rencontré la vedette de Bollywood Shahrukh Khan, l'acteur étant le seul du groupe qui ne portait pas des vêtements indiens traditionnels.

Sans que cela soit choquant, Claude Laverdure convient lui aussi que l'attitude vestimentaire de Justin Trudeau en Inde est assez inusitée. 

« Les seules fois où on voit des politiciens porter les habits traditionnels étrangers, dit-il, c'est pour la photo officielle de l'APEC. »

Claude Laverdure a été ambassadeur du Canada dans plusieurs pays d'Afrique. 

« J'ai toujours refusé de porter le costume local, car ce n'est pas le mien et je ne suis pas à l'aise dans le costume de quelqu'un d'autre. De plus, en Afrique, je n'ai jamais vu un collègue diplomate porter l'habit local », dit l'ancien diplomate canadien.

Yves Brodeur, ancien ambassadeur du Canada en Turquie, n'a jamais été témoin de pressions liées à la tenue vestimentaire durant ses 34 années de carrière diplomatique. Mais il confirme l'exception religieuse. Les politiciens vont porter la kippa dans une synagogue, donne-t-il en exemple, et se couvrir la tête dans un temple sikh. 

Il y a toutefois une différence, et elle est majeure, soutient l'homme politique Jacques Joli-Coeur, ancien chef du Protocole au gouvernement provincial : cela n'implique pas un changement complet d'habit. 

« La situation de M. Trudeau est très particulière, dit Jacques Joli-Coeur, qui était en poste sous les gouvernements de René Lévesque et de Jacques Parizeau. Je n'ai jamais vu des visiteurs ici qui ont estimé qu'ils devaient se costumer lorsqu'ils allaient chez nos amis wendats. Et j'en ai accompagné plusieurs. » 

À l'inverse, René Lévesque en visite à l'étranger adoptait toujours un style vestimentaire très neutre. « À mon avis, conclut Jacques Joli-Coeur, la sobriété a bien meilleur goût. »

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Stephen Harper, alors premier ministre, avait porté un turban lors de la visite d'un temple sikh en Inde, en novembre 2012.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

La famille Trudeau en compagnie de la vedette de Bollywood Shahrukh Khan