Après avoir martelé que le Parti conservateur voulait tourner le regard vers l'avant plutôt que de s'attarder aux erreurs du passé, Andrew Scheer a fait volte-face et décidé d'ouvrir une enquête indépendante sur l'affaire Rick Dykstra, mercredi.

Le chef conservateur a convoqué la presse avec un préavis d'une trentaine de minutes, après la période des questions, pour faire l'annonce du déclenchement de cette investigation qu'il veut «exhaustive» et dont les conclusions seront rendues publiques, a-t-il promis.

Il n'a pas voulu expliquer pourquoi il a tardé à prendre cette décision, ni si elle a été prise pour calmer la grogne de certains élus. «C'est essentiel de s'assurer qu'un problème comme celui qui est allégué ne puisse pas arriver encore. C'est ça, la motivation», a souligné M. Scheer.

«On doit s'assurer que dans le futur - si les allégations sont vraies - quelque chose comme ça ne puisse pas se reproduire», a-t-il déclaré au micro. Le leader a ajouté qu'il était par ailleurs «important de s'assurer que les Canadiens aient confiance en leurs systèmes publics».

Un peu plus tôt, des membres de sa députation exprimaient leur frustration face à la décision des stratèges conservateurs de permettre au député sortant Rick Dykstra de se représenter sous la bannière du parti en 2015 alors qu'il était visé par des allégations d'agression sexuelle.

Selon un article publié dans le magazine Macleans, on aurait donné le feu vert au candidat en sachant qu'il était soupçonné d'avoir agressé sexuellement une employée politique après une fête en 2014. Cette information, émanant d'une source anonyme, n'a pu être corroborée.

Les députés Maxime Bernier et Marilyn Gladu étaient de ceux qui ruaient dans les brancards. À son arrivée à la réunion hebdomadaire du caucus, mercredi matin, le Beauceron affirmait qu'il réclamerait des explications au Parti conservateur, écorchant au passage son ancien chef Stephen Harper.

«On a un caucus ce matin, on va poser des questions, et le parti doit y répondre, a-t-il souligné en mêlée de presse. C'est eux qui savaient ces faits-là à l'époque, et je pense qu'ils doivent nous dire ce qui s'est passé.»

Et lorsqu'on lui a demandé qui était responsable de cette décision, il a dit qu'«ultimement», le feu vert était donné «par le parti, avec le chef du parti», décochant ainsi une flèche à l'endroit de Stephen Harper, qui tenait les rênes de la formation à l'époque.

Quelques heures après, sa collègue Gladu abondait dans le même sens, suggérant qu'une enquête s'imposait pour aller au fond des choses, car «on ne peut se tourner vers l'avenir si on ignore ce qui est arrivé dans le passé», avait-elle lancé avant la période des questions.

Leurs sons discordants s'ajoutaient à celui envoyé lundi par Michelle Rempel. La députée a fustigé son parti pendant un débat sur un projet de loi contre le harcèlement sexuel dans les milieux de travail relevant de la compétence fédérale - incluant sur la colline.

«Ce qui est arrivé est dégoûtant, a tonné l'influente élue. Ces gens (les stratèges qui ont dit oui à la candidature de Rick Dykstra) devraient avoir honte, ne devraient exercer aucune fonction et n'avoir aucune influence dans ce parti politique ou dans n'importe quel autre.»

Mais l'idée de déclencher une investigation ne semblait pas en rallier beaucoup au sein des troupes conservatrices - pas plus que l'idée d'en discuter avec les journalistes: bon nombre de députés, incluant le chef Scheer, ont fui les caméras après la réunion du caucus, mercredi.

Ceux qui ont répondu aux questions véhiculaient ce qui était alors la ligne du parti. Lisa Raitt, Erin O'Toole, Gérard Deltell et Alain Rayes, notamment, ont martelé que la page était tournée et se montraient pour le moins tièdes à l'idée d'ouvrir une enquête.

«Il y a des démarches qui doivent être faites, j'imagine, à l'intérieur du parti, dans les organisations. Là, on est en train de regarder le présent, le futur», a offert M. Rayes, le lieutenant politique du Parti conservateur au Québec.

Son collègue Deltell avait peu après argué qu'il fallait «absolument penser d'abord aux victimes, et quand le malheur nous frappe, agir convenablement», que des questions devaient certes être posées, mais que parler d'une enquête était «un grand mot».

Le député O'Toole avait pour sa part fait valoir qu'une «chasse aux sorcières à rebours» ne l'intéressait guère. Et Lisa Raitt, de son côté, insistait sur le fait que le passé n'était pas garant de l'avenir, et que le chef Scheer contrôlait la situation.

«Tout ce que je peux contrôler et tout ce que le chef peut contrôler, ce sont les gestes que nous poserons dans le futur, a-t-elle déclaré mercredi matin. Ce n'est pas parce qu'une chose s'est produite dans le passé que les choses se passeront de la même manière dans le futur.»

Au Parti conservateur du Canada, mardi, on avait refusé de spécifier si les personnes derrière cette décision avaient été identifiées ou si elles participeraient au processus de la sélection des candidats pour la prochaine campagne en vue de l'élection d'octobre 2019.

«Nous ne pouvons pas nous prononcer sur les décisions prises par les anciennes équipes de campagne», a écrit Cory Hann, directeur des communications de la formation politique, dans un courriel transmis à La Presse canadienne.

Le chef Scheer n'a pas non plus voulu s'avancer là-dessus lorsqu'il a fait son annonce au parlement, mercredi après-midi. «On doit être patient (et attendre) les résultats de l'enquête», a-t-il dit.

Enquête sur Hehr

Les conservateurs ne sont pas les seuls à être empêtrés dans des scandales de nature sexuelle à Ottawa. La semaine passée, le libéral Kent Hehr a quitté son poste de ministre des Sports après que des allégations d'inconduite sexuelle le visant eurent fait surface.

Le député est toujours membre du caucus libéral en attendant les conclusions d'une enquête indépendante. À son arrivée au parlement, mercredi, le premier ministre Justin Trudeau ne s'est pas engagé à rendre publiques les conclusions de l'investigation.

«Chaque situation comporte de multiples facteurs que nous tenons en considération. La confidentialité est importante dans certains cas, et moins dans d'autres. Nous allons faire les choses adéquatement et raisonnablement à chaque étape», a-t-il indiqué.

«Je crois que les gens ont besoin de savoir que nous prenons ces allégations très au sérieux et que nous mènerons l'enquête de la bonne façon», a ajouté M. Trudeau. Le gouvernement a confié à l'avocate torontoise Christine Thomlison le mandat de se pencher sur le cas de Kent Hehr.

PC

Kent Hehr, ex-ministre des Sports et des Personnes handicapées.