Claude Morin est bien placé pour parler de la popularité de Maxime Bernier en Beauce. Avant de devenir maire de Saint-Georges, l'ex-député adéquiste s'est présenté comme candidat libéral aux élections fédérales de 2011. Il n'a récolté que 11 % des votes, environ 40 points derrière le gagnant. Avec la vague orange, ce dernier avait obtenu son pire score en une décennie : 50 %.

Aujourd'hui, le maire Morin suivra avec attention les résultats de la course à la direction du Parti conservateur du Canada. D'abord, parce qu'un Beauceron de Saint-Georges pourrait devenir chef d'un grand parti national - une première. Mais aussi parce que malgré les sondages qui placent Maxime Bernier en position de tête, l'incertitude plane, à commencer par sa propre circonscription de la Beauce. 

« Ce serait un plus pour la région et on le souhaite, dit M. Morin. Tout le monde serait fier d'avoir un Beauceron, quelqu'un de chez nous. » Mais selon lui, la position de M. Bernier sur l'abolition de la gestion de l'offre « va lui nuire en Beauce. Mais quel impact ça va avoir ? On verra... »

DES AGRICULTEURS CRIENT À LA TRAHISON

Jacques Roy, un agriculteur de Saint-Isidore, a perçu la promesse de Maxime Bernier d'abolir le système de la gestion de l'offre comme une trahison. Aux dernières élections fédérales, il a entendu Maxime Bernier, alors ministre d'État à l'Agriculture, défendre le système qui régit la production de lait, d'oeufs et de volaille au Canada - alors la position du gouvernement Harper.

« Au début, dit-il, on pensait que c'était farfelu. Des fois, il se dit des choses et c'est mal interprété. » Mais lorsqu'il a réalisé que son député avait bel et bien changé son fusil d'épaule, il a créé avec sa conjointe en janvier la page Facebook « Les amis de la gestion de l'offre et des régions ». « On voulait faire ça avec ma gang dans la Beauce. Puis là, eux l'ont dit à leurs amis, qui l'ont dit à leurs amis... » La page a maintenant plus de 10 000 membres, et son pendant anglophone en a près de 5000.

M. Roy a incité les mécontents à adhérer au Parti conservateur et à voter pour le député de la Saskatchewan Andrew Scheer. Son appel semble avoir été entendu, du moins jusqu'à maintenant : du début janvier à la fin mars, le nombre de membres de la formation a augmenté de 269 % au Québec, la plus grande augmentation à l'échelle nationale. Pendant la même période, en Beauce, le nombre de détenteurs d'une carte de membre serait passé de 102 à 1519, et selon des organisateurs de M. Scheer, plus des deux tiers sont des producteurs laitiers qui veulent bloquer Maxime Bernier.

L'activiste improvisé grimace quand on lui parle des chances de Maxime Bernier de remporter la course à l'échelle nationale. Mais dans ce système de scrutin où chaque circonscription aura un poids égal, il est catégorique quant à l'impossibilité pour le député de gagner plus de 50 % des voix dans sa propre circonscription. « En Beauce, c'est un blanchissage ! dit-il. Ça va ressembler à ça : entre 30 et 40 %. Il va être chanceux, chanceux, chanceux s'il a 40 %... »

Il faut dire que M. Bernier ne représente pas la meilleure région pour se faire l'apôtre de l'abolition de la gestion de l'offre. Selon les Producteurs de lait du Québec, la Beauce était troisième au Québec en 2011 au chapitre du nombre de fermes laitières (448 sur 5400). La région plus large de Chaudière-Appalaches compte aussi 159 des 1010 fermes avicoles de la province (oeufs et volaille).

LA MARQUE « BERNIER »

Mais demandez à cinq personnes si Maxime Bernier pourrait perdre sa propre circonscription, et vous obtiendrez cinq réponses différentes. « À mon avis, c'est too close to call », lance un stratège conservateur qui a préféré garder l'anonymat.

Dans le camp Bernier, on préfère parler des résultats à l'échelle canadienne. Gilles Bernier, le patriarche qui a lui-même représenté la circonscription de 1984 à 1997, minimise l'importance de la fronde agricole. Il évite toutefois de dire si l'organisation dans laquelle il s'implique activement est en bonne ou mauvaise posture au niveau local. « Ce n'est pas bon pour Maxime qu'ils votent contre pour cette raison-là, convient M. Bernier père. Mais ils votent contre et puis on va avoir nos votes à nous autres. »

« Et aux prochaines élections, ils vont dire : Maxime a fait une bonne job, et ils vont voter pour lui. »

Gilles Bernier est en terrain connu : poussé hors du Parti progressiste-conservateur par Kim Campbell avant les élections de 1993, il a décidé de se présenter comme candidat indépendant et a été élu pour un troisième mandat. Il convient qu'en Beauce, la marque « Bernier » joue un certain rôle dans la popularité de son fils. Mais celui-ci a pris soin de la maintenir en multipliant les activités comme des ateliers de passeports, des visites des salons funéraires et même une course de 106 km à travers la circonscription en 2013, où il a amassé plus de 150 000 $ pour l'organisme Moisson Beauce.

La directrice générale de Moisson Beauce, Nicole Jacques, parle d'une manne inespérée, au moment où son organisme, qui distribue des denrées alimentaires à plus de 10 000 personnes par l'entremise d'une soixantaine d'organismes, cherchait désespérément des moyens de répondre à la demande grandissante. « À l'époque, on disait que Maxime faisait la traversée de la Beauce pour notre traversée du désert », dit Mme Jacques. Maintenant, « j'ai envie [...] de dire qu'il a traversé la Beauce pour traverser le Canada ».

Malgré tout, et citant un devoir de réserve dû à ses fonctions, elle évite de prendre position pour ou contre la candidature de M. Bernier. Les gens d'affaires ne se bousculent pas non plus pour parler publiquement du candidat. Plusieurs appels de La Presse auprès de dirigeants d'entreprise sont restés sans réponse ; la Chambre de commerce de Saint-Georges a décliné notre demande d'entrevue ; et à la Chambre de commerce et d'industrie Nouvelle-Beauce, sa position sur la gestion de l'offre est dénoncée sans ménagement par le président François Lehouillier. « Vous comprendrez que personnellement, je serais content que quelqu'un d'autre se faufile en fin de semaine. »

Néanmoins, Olivier Turcotte, journaliste à la station de radio locale Cool 103,5 FM, affirme : « Je n'ai pas de sondage à l'appui, mais j'ai l'impression que les Beaucerons, conservateurs ou non, ils seraient juste bien fiers d'avoir un des nôtres à la tête d'un parti - et certains le voient même déjà premier ministre. »

LE PLUS GRAND FAN

Personne, peut-être, ne serait plus fier qu'Yvon Thibodeau. Assis sur une chaise berçante dans sa maison de Saint-Georges, un macaron de Maxime Bernier épinglé sur son chandail de laine, il ne nie pas qu'il est peut-être le plus grand admirateur de l'ex-conjoint de Julie Couillard. Ce passionné de photographie s'impliquait déjà en politique auprès de Gilles Bernier dans les années 80, puis il a épaulé le fils dès le début de son parcours, en 2005.

Un portrait de « Maxime » et sa conjointe trône sur l'étagère à côté de lui. Des albums remplis de photos du député sont ouverts sur sa table de cuisine. Et dans son bureau, des boîtes et des boîtes sont empilées le long des murs, remplies d'autres moments politiques croqués au fil des ans.

Lorsqu'on évoque la possibilité que M. Bernier devienne chef du Parti conservateur, il s'anime et son visage s'illumine. « Ce serait un honneur pour la Beauce ! lance-t-il. Et il le mériterait, parce que moi, je n'ai jamais vu un gars travailler de même. »

À la mairie de Saint-Georges, en attendant les résultats d'aujourd'hui, le maire Claude Morin demeure enthousiaste à l'idée de voir un Beauceron élu chef du Parti conservateur. « La Beauce, c'est un état d'esprit, dit-il. Les Beaucerons se demandent rarement ce que le gouvernement peut faire pour les aider ; ils se retroussent les manches et ils le font eux-mêmes. » 

« Peut-être qu'il pourrait répandre le modèle beauceron à travers le Canada ! »

La gestion de l'offre

Le système a été établi dans les années 70 pour contrôler les prix et la quantité des produits mis en marché par les producteurs de lait, d'oeufs et de volaille canadiens. Les prix et les quantités à produire sont établis en fonction des besoins du marché. Les fermiers se voient ensuite accorder le droit de produire en proportion des permis dont ils sont titulaires (aussi appelés quotas). Maxime Bernier affirme que ce système fréquemment dénoncé lors de négociations commerciales internationales gonfle les prix pour les consommateurs canadiens. Les producteurs répliquent que c'est faux, et que la survie de leur industrie en dépend.

Photo Mathieu Bélanger, collaboration spéciale

Nicole Jacques est la directrice générale de Moisson Beauce, qui distribue des denrées alimentaires à plus de 10 000 personnes par l'entremise d'une soixantaine d'organismes.

Photo Mathieu Bélanger, collaboration spéciale

Olivier Turcotte est journaliste à la station de radio locale Cool 103,5 FM.