Lundi, le vice-président américain Mike Pence a accusé certains pays membres de l'OTAN de ne pas payer une part «équitable» pour assurer leur défense commune. Le Canada doit-il se lancer dans une orgie de dépenses militaires? Sa réputation de pingre de l'OTAN est-elle justifiée? Le tour de la question avec trois experts.

Selon un classement officiel de l'OTAN, le Canada arrive au 23e rang sur 27 par rapport à la cible fixée en 2012, soit que le budget militaire des membres de l'alliance atteigne 2% de la taille de l'économie (PIB).

Cette donnée, et les récentes déclarations de l'administration Trump au sujet de l'OTAN, mettent de la pression sur le gouvernement canadien.

Cependant, le Canada n'inclut pas plusieurs dépenses dans le calcul, alors que d'autres pays le font, selon Michael Byers, titulaire de la Chaire de recherche en politiques globales et droit international à l'Université de Colombie-Britannique.

«Le gouvernement devrait résister à la tentation d'acheter encore plus d'équipements coûteux», a affirmé M. Byers en entrevue avec La Presse, quelques jours après avoir publié une lettre ouverte à ce sujet dans le Globe & Mail.

Et ce portrait masque les réelles capacités militaires du pays et son engagement concret envers l'alliance, affirme un autre expert, Alexis Amini, éditeur du programme Forces armées canadiennes à l'Association canadienne pour l'OTAN, un groupe de réflexion.

Autant d'arguments que le Canada pourrait faire valoir pour résister à la tentation de doubler ses dépenses militaires, alors que les menaces sur le pays ont rarement été aussi basses, comme le souligne un troisième expert, Jean-Christophe Boucher, professeur de science politique à l'Université MacEwan, à Edmonton.

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DÉPENSES MILITAIRES CANADIENNES

2016 : 20,3 milliards, soit 0,99% du PIB

CIBLE FIXÉE PAR L'OTAN POUR LE CANADA

41 milliards, soit 2 % du PIB

CE QUE LE CANADA POURRAIT INCLURE DANS SON BUDGET POUR SE RAPPROCHER DE LA CIBLE FIXÉE PAR L'OTAN

+ 3,6 milliards : Selon Michael Byers, le Canada pourrait inclure dans son budget les 3,6 milliards payés annuellement en rentes d'invalidité et prestations de décès aux vétérans de l'armée, comme le font plusieurs pays. C'est prévu par les règles de l'OTAN, dit-il. En ajoutant à cela 300 millions annuellement, soit une petite partie des budgets de la Gendarmerie royale du Canada et de l'Agence des services frontaliers qui sont employés à patrouiller le long des frontières, les dépenses militaires du Canada atteignent 1,2% du PIB, calcule M. Byers. Il passerait ainsi du 23e au 15e rang sans dépenser un sou de plus.

+ 2,5 milliards : Le budget de la Garde côtière canadienne ne compte pas dans le budget de la défense, contrairement, par exemple, à la Garde côtière des États-Unis. Cela tient à sa mission différente. Pour M. Byers, il suffirait d'ajouter un canon léger sur les navires canadiens et d'y affecter une unité de la marine. Et voilà que le budget atteint 1,3% du PIB. Mais il y a des complications, souligne Jean-Christophe Boucher, professeur à l'Université MacEwen, à Edmonton. «Il y a une loi qui gouverne la Garde côtière, et ça ne se change pas en criant ciseau», dit-il.

+ 3 milliards : Les Forces armées canadiennes ont commandé plusieurs équipements : des navires de patrouille dans l'Arctique (3 milliards), 15 navires de combat (26 milliards), des avions de sauvetage (2,3 milliards), des hélicoptères (3 milliards). Si on ajoute d'autres projets qui sont encore à l'étape préliminaire, ces dépenses additionnelles totaliseraient en moyenne 3 milliards par année, calcule M. Byers.

= 29,2 MILLIARDS

Ce qui porterait le budget de défense canadien à 1,46 % du PIB vers 2027, bon pour la 12e place.

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Les calculs de M. Byers ont leurs limites, selon son collègue Jean-Christophe Boucher : «Il a raison de dire que la façon dont on analyse les dépenses militaires varie beaucoup d'un pays à l'autre, mais les alliés ne seront pas dupes. Si on a ce genre de conversation, je ne suis pas sûr qu'on va les impressionner.»

«Il n'y a aucune menace»

Cependant, le Canada n'a objectivement aucune raison de doubler ses dépenses militaires actuellement, affirme Jean-Christophe Boucher. « D'abord, il n'y a rien dans le traité de l'OTAN qui oblige le Canada à dépenser 2%, dit-il. Les Américains et les Britanniques essaient de forcer un chiffre qui n'a pas de commune mesure avec les besoins en sécurité. Et est-ce que plus de dépenses amèneront plus de sécurité? Pas au Canada. Il n'y a aucune menace sur le Canada. Mais ces pays aimeraient bien qu'on dépense davantage parce que les équipements viendraient de chez eux, des États-Unis, d'Angleterre ou de France.»

Le Canada, toujours prêt

Et il n'y a pas que les chiffres. Le Canada est un partenaire très actif au sein de l'OTAN, notamment grâce à sa capacité de déploiement rapide, supérieure à celle de plusieurs alliés plus imposants, affirme Alexis Amini, de l'Association canadienne pour l'OTAN, qui s'exprime cependant à titre personnel. «Les Forces canadiennes sont parmi les meilleures, on peut facilement les déployer, en de très courts délais, dit-il. Le Canada répond aussi toujours à l'appel pour les exercices militaires communs de l'OTAN, ce que ne font pas tous les alliés européens.» Cependant, il rejette l'approche budgétaire de M. Byers. «Ce n'est pas correct d'inclure les dépenses sociales, dit-il. C'est ce que font les Européens. Mais est-ce que ça augmente la combativité?»