Déjà montré du doigt par le directeur parlementaire du budget pour son manque de transparence au cours des dernières semaines, le ministère des Finances refuse de divulguer l'analyse que ses fonctionnaires ont effectuée au sujet des coûts des promesses du Parti libéral du Canada durant la dernière campagne électorale.

Cette analyse fait partie des quelque 430 pages du cahier d'information qui a été remis au ministre des Finances Bill Morneau peu de temps après sa nomination par le premier ministre Justin Trudeau.

Déjà, le ministre Morneau a été contraint d'admettre que les libéraux ont sous-évalué les coûts de certaines de leurs promesses électorales, notamment la baisse du fardeau fiscal accordée au début de l'année aux contribuables de la classe moyenne. En campagne, les libéraux ont soutenu que cette réduction d'impôt serait à coût nul, car elle serait entièrement financée par une hausse du fardeau fiscal des particuliers qui empochent un salaire annuel de 200 000 $ et plus. Or, les libéraux ont dû admettre, au moment d'adopter cette mesure en décembre, qu'ils avaient sous-estimé cette promesse de 1,6 milliard de dollars par année.

Un autre engagement qui s'avère plus coûteux que ce qu'avaient calculé les stratèges libéraux est la nouvelle allocation canadienne pour les enfants. Cette mesure, qui doit entrer en vigueur le 1er juillet, coûtera au fisc 1,4 milliard de plus que prévu.

En campagne, les troupes de Justin Trudeau avaient également promis des investissements massifs dans les infrastructures, lesquels entraîneraient un déficit ne dépassant pas les 10 milliards de dollars durant les deux premières années d'un mandat libéral, toujours selon leurs calculs. Or, le déficit prévu pour les deux prochains exercices financiers frisera plutôt les 30 milliards de dollars, a-t-on appris dans le budget du ministre Morneau déposé en mars.

Le ministère des Finances a-t-il conclu que les coûts d'autres promesses électorales ont été sous-estimés? Impossible de le savoir, les fonctionnaires du Ministère ayant censuré plusieurs pages des documents qui ont été remis à La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Les documents incluaient notamment les projections fiscales en tenant compte de l'ensemble des promesses des libéraux de Justin Trudeau pour l'exercice financier 2015-2016 et les quatre exercices suivants.

Censure?

Au ministère des Finances, on a défendu la décision de censurer l'évaluation des coûts des promesses libérales par le fait que les documents en question contiennent «des avis ou recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale ou un ministre» (article 21 (1) (a) de la Loi sur l'accès à l'information). On invoque aussi l'article 21 (1) (b) de cette même loi, qui permet de protéger «des comptes rendus de consultations ou délibérations auxquelles ont participé des administrateurs, dirigeants ou employés d'une institution fédérale, un ministre ou son personnel».

«La Loi sur l'accès à l'information contient des provisions qui guident le gouvernement. Les règlements décrivent ce qui peut être communiqué au public et ce qui doit être protégé et pourquoi», a indiqué Jack Aubry, porte-parole du Ministère.

Il a précisé que les proches collaborateurs du ministre des Finances n'ont pas été consultés avant la divulgation des documents.

«Le bureau du ministre n'est pas impliqué dans l'application des prélèvements. Les documents traités suite à une demande d'accès à l'information sont fournis à titre d'information seulement», a-t-il affirmé.

Le directeur des communications de Bill Morneau, Daniel Lauzon, a aussi insisté pour dire que le bureau du ministre n'a pas été consulté. « Le ministère des Finances a fait le choix de protéger certaines informations selon les critères prévus par la loi. Le cabinet du ministre n'a pas du tout été impliqué dans cette décision », a dit M. Lauzon.

Ces explications ne satisfont pas le député conservateur de Louis-Saint-Laurent, Gérard Deltell. «Il n'y a pas de secret d'État là-dedans. Encore une fois, si besoin est, ce gouvernement se gargarise de beaux principes de transparence, mais il ne les applique pas. Le directeur parlementaire du budget dit qu'il ne donne pas assez d'information. Le ministère des Finances dit qu'il y a un surplus, mais le ministre s'entête à dire le contraire. Ces analyses qui ont été faites par les fonctionnaires, elles appartiennent au public. Ce n'est pas un secret d'État. Nous avons droit de voir l'évaluation réelle des promesses libérales», a dit M. Deltell à La Presse.

Le ministère des Finances a fait bande à part en ce qui concerne tous les documents obtenus par La Presse depuis l'arrivée des libéraux au pouvoir. À titre d'exemple, le bureau du premier ministre Justin Trudeau a remis l'ensemble des cahiers de breffage qu'il a obtenus très rapidement. En outre, les documents étaient très peu censurés. Les ministères de l'Environnement et des Ressources naturelles ont fait preuve de la même transparence.

- Avec William Leclerc