Cela se discutait depuis quelques semaines, mais les derniers sondages ont eu l'effet d'un catalyseur. La mort de Jacques Parizeau, le fiduciaire de l'option, probablement un peu aussi. Les jours de Mario Beaulieu à la tête du Bloc québécois étaient comptés. Dans les rangs souverainistes, on se trouvait devant un constat brutal: le parti de Gilles Duceppe n'existerait plus après les prochaines élections fédérales.

Avec une pointe d'angoisse, on envisageait la participation de Beaulieu à un débat des chefs fédéraux, au cours duquel ses adversaires, bien plus expérimentés, l'auraient tourné en ridicule. Déjà, M. Beaulieu avait réussi à perdre la moitié de son minuscule caucus en devenant chef, puisque Jean-François Fortin et André Bellavance avaient préféré tirer leur révérence après son arrivée. Pire encore, l'avenir s'annonçait sombre: Mario Beaulieu n'était parvenu à cibler qu'une vingtaine de candidats sur les 78 à trouver. À Montréal, les Sophie Stanké et Lucie Laurier n'étaient que les plus récentes personnalités à finalement tourner le dos au Bloc québécois.

C'est dans ce contexte que, peu avant la mort de Jacques Parizeau, le chef de cabinet de Mario Beaulieu, Luc Thériault, un ancien député péquiste, a prévenu son patron: aux prochaines élections, en octobre, le Bloc frapperait un mur, à moins qu'il n'accepte de laisser sa place. L'ancien leader de la Société Saint-Jean Baptiste ne l'avait pas vu venir, même s'il était conscient des problèmes de son leadership. Il y a un mois à peine, il rencontrait d'anciens bloquistes pour leur demander conseil sur la campagne qu'il aurait à diriger!

Sondages

Les sondages, il faut le dire, n'ont rien d'encourageant. Dans le plus récent sondage CROP, le Bloc de Mario Beaulieu ne faisait bouger l'aiguille qu'à 13%, bien loin du Nouveau Parti démocratique, qui caracolait en tête avec 42% des intentions de vote au Québec. En clair, aucun bloquiste n'aurait été élu, pas même le député perpétuel Louis Plamondon, aux Communes depuis 1984.

Il y a quelques semaines, un sondage réalisé par Jean-Marc Léger a circulé - une enquête téléphonique comparant l'ascendant de Mario Beaulieu, Gilles Duceppe et Bernard Landry. «Duceppe faisait presque trois fois le score de Beaulieu», a confié l'un des apparatchiks mis dans le coup. Avec Duceppe à la barre, le Bloc québécois, tout à coup, se retrouvait autour de 30%, avec désormais une chance de survivre aux prochaines élections. Bernard Landry n'était pas très loin, mais Duceppe représentait tout de même la meilleure chance du Bloc.

Le nouveau chef du PQ, Pierre Karl Péladeau, a approuvé le changement de garde au Bloc. Il s'est entretenu au préalable avec M. Duceppe. Même si, personnellement, il n'a jamais cru à l'utilité d'une aile souverainiste à Ottawa - il s'en était confié devant des militants avant de se raviser -, il sait bien qu'il n'a rien à gagner d'une déroute totale de ce parti frère aux prochaines élections.

Du côté de l'organisation, tout est à refaire. Le Bloc a en banque environ 2,5 millions, il est susceptible d'en récolter autant dans une campagne de financement à la veille d'une élection générale. C'est tout de même deux fois moins de moyens qu'au printemps 2011.

Le rôle de Bernard Landry

Bernard Landry aura joué un rôle déterminant dans toute cette opération. C'est lui qui, depuis Paris, où il se trouvait pour l'admission de Dany Laferrière à l'Académie française, a vérifié que Mario Beaulieu ne ferait aucun obstacle à un retour de Gilles Duceppe. M. Landry avait aussi encouragé M. Duceppe à revenir. C'était l'une des exigences de l'ancien chef bloquiste: le retour devait se faire sans bisbille, Mario Beaulieu devait être totalement d'accord et ses disciples, prêts à accueillir l'organisation qu'il amènerait avec lui. «Si Beaulieu n'avait pas voulu, cela n'aurait jamais eu lieu», résume une source proche de ces tractations. Le 2 juin, MM. Duceppe et Beaulieu ont mangé ensemble à Montréal, et l'entente a été conclue.

Conscient d'être au bord du précipice, Mario Beaulieu était trop heureux de céder le témoin; on annoncera aujourd'hui qu'il sera le président du Bloc, alors que Gilles Duceppe redevient chef, dirige ce qui reste de l'aile parlementaire et aura la main haute sur le choix des organisateurs. Certains tenteront de faire un rapprochement avec le moment où, conscient de ses limites, Jacques Parizeau avait accepté de céder le pas au «négociateur» Lucien Bouchard dans la campagne référendaire de 1995. Mais qui osera sérieusement comparer Beaulieu à Parizeau?

En manque de politique

Bien sûr, Gilles Duceppe s'ennuyait passablement dans son rôle de gérant d'estrade; les interviews sporadiques qu'il accorde et les chroniques qu'il saupoudre dans les journaux de Québecor ne confèrent pas à sa vie le rythme trépidant de la politique active. Essentiellement, «il voulait faire partie du mouvement», ne pas rester sur la touche au moment où le courant souverainiste semble reprendre vie. Il y a aussi probablement une part d'amour-propre - battu dans la circonscription qu'il détenait depuis 20 ans, en 2011, le premier élu du Bloc québécois voulait un match revanche. On dit qu'il n'est pas certain de retourner dans Laurier-Sainte-Marie, mais il y a fort à parier qu'il voudra renouer avec son ancienne équipe d'organisateurs. Il y a une part d'abnégation dans cette décision; s'il est réélu, avec probablement une poignée de députés, M. Duceppe devra renoncer à sa pension de député, diriger des troupes réduites vraisemblablement sans les moyens d'un chef de parti reconnu aux Communes.

Hier, aux funérailles de Monsieur, il avait adopté un profil bas, refusant de confirmer son retour. Mais l'enthousiasme suscité auprès des sympathisants par sa seule présence l'aura probablement rassuré.

Membre de la commission Bouchard-Taylor, mandarin dans le dossier linguistique sous Pauline Marois, le sociologue Jacques Beauchemin vient d'écrire un ouvrage dans lequel il observe que Pierre Karl Péladeau est probablement la dernière chance du Parti québécois. De la même manière, Duceppe était probablement la dernière carte de Bloc québécois. Et le tandem Péladeau-Duceppe, l'ultime espoir du camp souverainiste.