Des députés conservateurs sont exaspérés d'avoir à s'expliquer devant des électeurs en colère au sujet du scandale des dépenses au Sénat. Et ils sont de plus en plus nombreux au sein des troupes de Stephen Harper à favoriser maintenant l'abolition de la Chambre haute.

À quelques heures du dépôt du rapport explosif du vérificateur général Michael Ferguson sur les dérapages financiers de plusieurs sénateurs, des députés conservateurs ont confié à La Presse leur dégoût, mais aussi leur impuissance à l'égard de ce qui se passe au Sénat.

«L'abolition est une très bonne option. [...] Je dois dire que je n'ai plus beaucoup de respect pour cette institution», a lancé un député conservateur de l'Ontario sous le couvert de l'anonymat. «Il y en a beaucoup d'entre nous qui voudraient bien l'abolir. Mais des obstacles constitutionnels nous empêchent de le faire.»

«Il y a énormément de frustration, car les députés doivent répondre à beaucoup de questions concernant des gestes commis par des gens non élus et qui n'ont pas à affronter l'électoral directement. Il y a une fatigue généralisée, surtout depuis que la Cour suprême a mis fin à nos efforts modestes pour réformer le Sénat. Aujourd'hui, il y a plus que jamais des appuis en faveur de l'abolition», a confié un député conservateur de l'ouest du pays.

Rapport du vérificateur général

Dans son rapport, le vérificateur général Michael Ferguson détaillera les dépenses douteuses atteignant 967 000$ réclamées par 30 sénateurs. Le vérificateur général demandera aussi que les dossiers de neuf sénateurs soient remis à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour une enquête criminelle. Quant aux 21 autres sénateurs, ils seront prestement invités à rembourser les dépenses inadmissibles qu'ils ont réclamées.

Parmi les neuf sénateurs qui feront l'objet d'une enquête des policiers, sept sont à la retraite et deux autres siègent toujours au Sénat, soit le conservateur Pierre-Hugues Boisvenu et le libéral Colin Kenny. M. Boisvenu a volontairement quitté le caucus conservateur la semaine dernière après avoir appris que son cas sera examiné par la GRC.

Le ministre d'État aux petites entreprises, Maxime Bernier, a exhorté l'an dernier le premier ministre Stephen Harper à tenir un référendum pancanadien sur l'avenir du Sénat. Mais cette idée a été écartée par M. Harper compte tenu du fait que l'abolition du Sénat nécessite un amendement constitutionnel appuyé unanimement par l'ensemble des provinces et le gouvernement fédéral.

Le NPD réplique

Malgré tout, le chef du Nouveau Parti démocratique, Thomas Mulcair, a réaffirmé en fin de semaine son intention d'abolir la Chambre haute. Il s'est aussi engagé à consulter les provinces à cet égard s'il remporte les élections générales du 19  octobre.

Interrogé à ce sujet, hier, le premier ministre Stephen Harper s'est montré peu impressionné. «Pour abolir le Sénat, la Cour suprême a dit qu'on a besoin de l'unanimité. Le Québec s'y oppose [...] et je pense que la population ne veut pas de grandes réunions constitutionnelles. Cette époque est terminée», a affirmé M. Harper, alors qu'il participait au sommet du G7 en Allemagne.

À la veille du dépôt du rapport de M. Ferguson, les sénateurs les plus en vue du Sénat - le président du Sénat Leo Housakos et le leader de l'opposition James Cowan - ont cherché à calmer la grogne en remboursant des milliers de dollars en dépenses jugées inadmissibles par le vérificateur général.

La semaine dernière, MM. Housakos et Cowan avaient indiqué vouloir contester les conclusions de M. Ferguson en faisant appel à l'arbitre nommé il y a deux semaines, l'ancien juge de la Cour suprême Ian Binnie, pour trancher les cas litigieux. Mais après mûre réflexion, ils ont changé leur fusil d'épaule tout en continuant d'affirmer qu'ils n'ont commis aucune faute. Ils ont fait valoir qu'ils devaient agir de la sorte étant donné l'importance de leur fonction et le fait qu'ils doivent protéger l'intégrité du Sénat et du processus d'arbitrage.

M. Housakos a ainsi remboursé quelque 6000$ pour un contrat jugé trop vague donné à un employé. M. Cowan a pour sa part signé un chèque de 10 000$ pour trois voyages à Toronto en 2011. Le vérificateur général soutient que ces voyages étaient «personnels», alors que M. Cowan maintient qu'ils étaient liés à ses fonctions.