Ottawa contemple l'adoption d'un projet de loi ciblant les «loups solitaires», ceux-là même qu'un djihadiste canadien a invité à perpétrer des attentats au pays à défaut de se joindre aux combattants du groupe armé État islamique (ÉI).

Le ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, s'est montré intéressé par les dispositions d'une loi récemment adoptée en France qui permet aux autorités de procéder à des arrestations préventives en introduisant la notion de «délit d'entreprise terroriste individuelle».

En vertu de cette loi, les forces de l'ordre peuvent appréhender tout individu qui possède des armes ou des explosifs et qui, en plus, aurait consulté des sites Internet faisant l'apologie du terrorisme ou encore suivi une formation en maniement d'armes ou d'explosifs.

Le ministre Blaney a signalé mercredi dernier, en comité parlementaire, que le gouvernement s'inspirait des législateurs de l'Hexagone dans l'élaboration d'un nouveau projet de loi antiterroriste.

«J'étais en France récemment, et ils implantent une mesure comme celle que nous avons déjà implantée (la gestion des entrées et sorties du territoire) ou que nous contemplons implanter dans un avenir très rapproché», a-t-il alors exposé.

M. Blaney n'a pas voulu préciser, à l'issue de ce comité, quelles mesures inspirées du modèle français pourraient être contenues dans le projet de loi qu'il s'est engagé à présenter prochainement.

En point de presse, lundi, il s'est contenté de mentionner qu'il aurait pour objectif de «faire en sorte qu'on puisse plus facilement traquer les individus qui souhaitent voyager pour commettre des attentats terroristes ou qui utilisent les réseaux sociaux et qui passent à l'action».

Le ministre a ensuite ajouté, en anglais, que le projet de loi offrirait davantage d'outils aux forces de sécurité du pays pour aider celles-ci à constituer des preuves permettant le dépôt d'accusations.

Il reviendrait ensuite au système judiciaire canadien de s'adapter, selon le spécialiste Michel Juneau-Katsuya, qui a oeuvré pendant de nombreuses années au sein du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

«Il y a énormément de timidité de la part des procureurs, ou encore pire, des juges, d'admettre que le terrorisme a changé. On exige parfois que la barre soit tellement haute que c'est irresponsable, ou irréaliste, de penser qu'on va l'atteindre», a-t-il fait valoir en entrevue téléphonique.

Il reste à savoir si le modèle français pourrait tenir la route au Canada.

«La France travaille avec la présomption de culpabilité alors que nous, on travaille avec la présomption d'innocence», a expliqué M. Juneau-Katsuya.

«En France, on peut mettre des personnes en garde à vue, et c'est à eux à démontrer leur innocence. Nous, on fonctionne dans l'autre direction», a-t-il spécifié.

Il y a fort à parier que le dépôt du projet de loi antiterroriste n'aura pas lieu avant plusieurs semaines - la fin de la séance automnale est prévue pour ce vendredi, et les députés ne siègeront pas avant le 26 janvier prochain.

«Ce n'est pas vrai qu'on va précipiter une législation aussi importante; on va s'assurer qu'elle soit bien faite, qu'elle couvre tout, et c'est évident qu'on regarde ce qui est fait dans les pays partenaires du Canada comme la France», a affirmé lundi Jean-Christophe de Le Rue, l'attaché de presse de M. Blaney.

Dans une vidéo qui a fait surface dimanche, un Canadien s'identifiant comme Abu Anwar al-Canadi invite explicitement les «loups solitaires» à attaquer des cibles canadiennes en s'inspirant des récents attentats survenus à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Ottawa.

«Soit vous faites vos bagages, soit vous préparez vos explosifs. Soit vous achetez votre billet d'avion, soit vous affûtez votre couteau», a lancé l'homme.

Le ministre Blaney a précisé lundi en point de presse que le passeport de l'individu en question, un ancien étudiant de l'université d'Ottawa dont le vrai nom est John Maguire,@ avait été révoqué par les autorités canadiennes.

On ignore si le niveau d'alerte terroriste a été revu à la hausse au pays dans la foulée de la diffusion de cette vidéo.

«Je ne dirais pas que c'est un haut niveau d'alerte, mais il est certainement élevé depuis un certain temps. Et (John Maguire) n'est évidemment pas le seul individu que nous surveillons», a plaidé le ministre de la Justice, Peter MacKay.

Mais face à l'incertitude que laisse planer cet appel aux «loups solitaires» se trouvant en sol canadien, le Parti libéral a exhorté le gouvernement à agir sans plus tarder.

Les libéraux estiment que les lois actuellement en place permettent de procéder à l'arrestation des quelque 80 individus qui seraient rentrés au Canada après avoir commis des activités terroristes à l'étranger.

Le Code criminel prévoit une peine passible d'un emprisonnement maximal de 10 ans pour «quiconque quitte ou tente de quitter le Canada - ou monte ou tente de monter dans un moyen de transport dans l'intention de quitter le Canada - dans le but de commettre un acte (terroriste) à l'étranger».

Selon le député libéral Marc Garneau, les conservateurs doivent expliquer pour quelle raison ils veulent mettre de nouvelles lois en place alors que celle-ci n'est pas mise à profit.

«Pourquoi est-ce que le gouvernement ne s'en sert pas (de la loi) pour les 80 personnes qui, on le sait, ont été au Moyen-Orient et ont commis des actes terroristes ou ont été impliqués dans ça», a-t-il lâché en point de presse à l'issue de la période des questions, lundi.

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) a également appelé lundi le gouvernement à clarifier la situation.

«On a posé la question maintes et maintes fois en comité (au ministre Blaney), et on n'a toujours pas de réponse à savoir ce qui se passe exactement avec ces 80 personnes-là qui sont ciblées», a déploré la députée Rosanne Doré Lefebvre.

«Ce n'est pas ce qu'il y a de plus rassurant pour la population canadienne, a-t-elle poursuivi. Est-ce que les conservateurs ont un plan? Est-ce qu'il y a une raison pour laquelle on nous cache de l'information?»